Des milliers d’habitants du quartier « Hawmat Chouk » à Tanger, se sont rassemblés le 25 octobre 2023, devant le tribunal de première instance pour protester contre un jugement exigeant leur expulsion de leurs habitations suite à une plainte d’une société immobilière et de ses héritiers. Des femmes, des hommes et des jeunes en colère, étaient venus dire à ceux qui voulaient bien les entendre, qu’ils sont victimes d’un mystérieux propriétaire juif qui entend les expulser des maisons où ils ont vécu depuis des dizaines d’années.
Certains parlent, aujourd’hui, de juifs revenus au détroit pour récupérer leurs biens. Plusieurs rumeurs et mythes sont entretenus autour de cette affaire qui défraie la chronique tangéroise depuis plusieurs rappelant l’histoire international et multiculturelle de Tnager.
« Cela fait 60 ans que je vis à « Houmat El Chouk » et j’y ai donné naissance à 9 enfants. J’ai été surprise par cette convocation du tribunal», a déclaré, au journal « Al Youm24 » (rédaction arabophone), une veuve qui risque d’être expulsée en cas d’exécution du jugement.
Le coordinateur médiatique des familles de ce quartier Omar Abrich, affirme, pour sa part, que les habitants étaient venus par milliers au tribunal pour soutenir les familles convoquées. « Ils savent que si une décision d’expulsion est rendue, cela ouvrira la porte à d’autres expulsions » explique – t -il.
Quelques 5 000 habitants vivent dans ce quartier populaire, situé dans la banlieue de Tanger. Bâti en 1982, il compte environ 1 704 maisons. Après avoir fait l’objet d’une réhabilitation, de l’eau, de l’électricité et d’autres services publics y sont disponibles.
Autorisations et contrats informels
L’enquête du journal « Al Youm24 » (rédaction arabophone) a pu révéler plusieurs dysfonctionnements. Grâce à des contrats informels et des autorisations fournis par la commune le quartier a été bâti, en partie, sur un terrain de 14 hectares, immatriculé sous le n° 8185/K, propriété de la société « Charaf Immobilier» dont la majorité du capital est contrôlée par un certain Albert Boumendel.
Selon les documents consultée par « Al Youm24 », la société « Charaf Immobilier », qui fait soudainement parler d’elle en 2002 est détenue par 3 personnes: Albert Boumendel, qui serait de confession juive, mais on ne sait pas s’il est français ou marocain. Il détient 50% du capital, alors que Mohammed Arbai (une grande famille de Tanger) possède 30%, et Allal El Bakhti Taib 20%.
Mohammed Arbai et Allal El Bakhti Taib sont morts et ce sont leurs héritiers qui réclament ce terrain. Mais aucune trace de Albert Boumandel, ni de ses héritiers, n’est apparu à ce jour.
Un procès contre la Commune de Tanger
En 2002, l’avocat Mohamed Al Ansari a été chargé par «Charaf Immobilier» de porter plainte contre la Commune urbaine de Tanger parce qu’elle a autorisé la construction d’un quartier résidentiel doté de tous les équipements sociaux sur un terrain privé.
En 2010, après un long processus judicaire, le tribunal décide d’indemniser «Charaf Immobilier» avec un montant d’environ 44 millions de dirhams sur la base de 1.100 dirhams le mètre carré, assorti de 2,1 millions de Dh à titre de compensation.
Mais les héritiers de la société n’ont pas pu appliquer le jugement en raison d’un problème de qualité et de capacité judicaire qui n’a pas permis aux actionnaires de se réunir pour appliquer la décision du tribunal.
Un changement flou du statut juridique de « Charaf Immobilier »
Le statut juridique originel de « Charaf Immobilier » indique qu’il s’agit d’une société par actions gérée, selon la loi, par un conseil d’administration désigné par l’assemblée générale des actionnaires, mais la société n’a pas tenu cette assemblée depuis plusieurs années et se trouve donc en situation de perte de capacité judicaire.
Pour résoudre cet imbroglio, certains héritiers saisissent la justice. En juillet 2009, Fouad Mouhi, un ex directeur des ressources humaines au ministère de la Justice, est désigné par le tribunal de commerce de Tanger comme commissaire judiciaire chargé de tenir l’assemblée générale en vue de la transformer en société à responsabilité limitée.
Après avoir effectué toutes les démarches, la date du 28 septembre 2016 est fixée pour la tenue de l’assemblée générale, mais le quorum n’est pas atteint en raison de l’absence d’Albert Boumandel et de ses héritiers. Une autre date est fixée pour le 19 octobre 2016 et, malgré l’absence de ce denier on procède à la transformation de « Charaf Immobilier » en une société privée à responsabilité limitée.
Selon une source du journal « Al-Youm 24 », Il est probable que Albert Boumandel soit décédé et que ses héritiers ne savent rien de toute cette affaire.
Après le changement du statut, les héritiers de Mohammed Arbai et Allal El Bakhti Taib ont eu le droit d’exercer leur pouvoirs légaux mais plusieurs interrogations restent posées:
Pourquoi le commissaire judiciaire désigné par le tribunal, a-t-il évité de mentionner l’absence d’Albert Boumandel de la réunion de l’assemblée générale ? pourquoi n’a-t-on pas procéder à la liquidation de la société ? Mais peut – être que l’objectif était de récupérer les millions de Dh de compensations que le tribunal avait ordonné à verser à Albert Boumandel.
Pourquoi le processus de transfert de la propriété du terrain vers la commune de Tanger n’est toujours pas achevé, contrairement à l’indemnisation ?
Pourquoi les héritiers ont-ils eu recours à une action en justice pour expulser les habitants sur la base d’une procédure d’« expulsion d’un occupant sans droit », alors même que la Commune Urbaine de Tanger les avait indemnisés d’une somme de 4,4 millions de Dhs en échange du terrain ?
Autant de questions auxquelles pourrait répondre la prochaine audience qui se tiendra le 8 novembre prochain.
A signaler que le maire de Tanger Mounir Laymouri a décidé, de son coté, de désigner un avocat pour défendre les habitants.
Traduit par Mohamed Moustaid.