« Les Cafards »: un roman sur le génocide du Rwanda (note de lecture)

26 janvier 2024 - 09:24

Dans « Inyenzi ou les Cafards » l’écrivaine Scholastique MUKASONGA raconte ses premières années de vie, marquées par l’exclusion, le rejet, la stigmatisation et la persécution. Elle est Tutsie. Avec sa famille, elle est expulsée de sa maison du Rwanda. Progressivement, la répression, les persécutions s’accentuent. Jusqu’aux jours de massacres en 1994 qui ont fait environ 900 000 morts.

« Inyenzi », ce sont les cafards. C’est ainsi que les Tutsi étaient nommés par ceux qui allaient tenter de les exterminer. L’enfance de Scholastique est marquée par les persécutions dès son plus jeune âge. Dans son village. A l’école. L’engrenage de la haine s’est mis en marche très tôt, en 1959. L’auteure n’a que trois ans.

La famille est déportée et regroupée dans un coin de brousse. Déversés par des camions de l’armée à Nyamata, où tout est à recommencer. Construire une maison. Défricher un coin de terre. Les parents travaillent tout au long du jour. La mère a emporté précieusement des graines de plantes qu’elle va planter dans ces nouveaux espaces à cultiver. « Elle les avait sauvées dans les nœuds de son pagne comme le plus précieux des trésors. (…) C’était pour elle comme les survivants d’un temps plus heureux… »

Les persécutions s’accentuent. Les militaires, pas loin, viennent régulièrement et pillent les maisons. Humilient les habitants. Les frappent. La terreur hutu se répand, portée par les milices et les soldats.

Au lycée: stigmatisation et pensée coloniale

Scholastique fait partie des 10% de Tutsis autorisés à suivre la scolarité au lycée. Un miracle, cette intégration dans le système scolaire ! Même si les conditions de la scolarité sont dures. « Enfin le grand jour de la rentrée arriva. Il fallait partir de bonne heure pour arriver à Kigali avant la tombée de la nuit. Même pour une bonne marcheuse comme je l’étais, quarante-cinq kilomètres, c’était une expédition. Mon père m’accompagnait. »

Les humiliations sont permanentes, y compris de la part des élèves Hutus, des jeunes filles comme elle. Elles avaient des chaussures. Scholastique marchait pieds nus. Les Tutsi « n’avaient plus le droit à la fierté. »

Les enseignants, les « Bons Pères », participaient à la propagande du pouvoir dans leur discours. Il fallait dire que le Rwanda était un pays « béni de Dieu » ! Le Président Kayibanda avait instauré un « petit paradis au cœur de l’Afrique. »

Alors que le pays vient d’acquérir son indépendance, le poids de la pensée coloniale pèse lourdement sur les élèves. « Melle Barbe, une Française, nous initiait à la cuisine civilisée dont la base était la mayonnaise. »

La terreur s’installe

On ne parle plus à personne, même aux voisins. Se faire tout petits, disparaitre aux yeux des Hutus qui commencent à se déchainer contre la minorité Tutsi. Les meurtres commencent. Son ami d’enfance, Régis, est attrapé par des séminaristes, rasé avec des morceaux de verre, tué à coups de pierre.

En 1973, la famille se réfugie au Burundi. Les enfants se « réfugient dans les études », une façon d’espérer échapper à la mort annoncée.

La perception du massacre de masse s’installe progressivement. Fuir. Échapper aux tueries. Il faut que l’un d’entre nous survive. Cette pensée commence à s’installer dans les esprits. Scholastique vit cette montée de la terreur de masse et la décrit avec une émotion contenue dans son livre.

En 1994, le massacre de masse se met en branle. Comme « une horreur attendue ». Scholastique était loin des siens qui tombaient sous les coups de machette des tueurs. 37 membres de sa famille sont assassinés. « Je n’étais pas parmi les miens quand on les découpait à la machette. Comment ai-je pu continuer à vivre pendant les jours de leur mort ? Survivre ! C’était, il est vrai, la mission que nous avaient confiée les parents à André et à moi. Nous devions survivre e je savais à présent ce que signifiait la douleur de survire. » « Nous étions fatigués et parfois, nous nous laissions aller au désir de mourir. »

Elle parle de sa souffrance. « Mais que vaut ma souffrance comparée à ce qu’ils ont souffert avant d’obtenir de leurs bourreaux cette mort qui était leur seule délivrance ? »

L’abandon des victimes par l’ONU

Les milliers de Tutsi réfugiés dans l’église ont été achevés. Les militaires de l’ONU avait évacué, la veille, les religieuses et les missionnaires.

Mais Scholastique a échappé à ces moments sur sa terre. Elle a épousé un Français et vit loin du drame. Elle écrit des pages poignantes sur son retour sur les lieux des crimes. De longues années après. Sur un chemin de souvenirs douloureux. Où tout lui rappelle ce monde englouti par la haine. Par la haine qui a été jusqu’aux massacres de masse.

Il lui faut dix ans pour avoir le courage de retourner au Rwanda

C’était en 2004. Le récit se déroule comme une remontée dans le temps. Le temps où elle et sa famille vivaient. Elle cherche des traces de sa maison. Du champ que cultivait sa mère. Elle découvre une famille. Des Hutus. Bien sûr, ils n’ont rien fait, rien vu !

Dans le jardin en friche que sa mère cultivait, autour de leur maison désormais vide, un serpent noir s’échappe sous ses pas. C’est un signe que lui fait ce reptile. Comme une reconnaissance, par-delà la douleur. Par-delà la mort. C’est le serpent familier que connaissait sa mère.

Avec cette histoire de serpent, Scholastique Mukasonga nous montre comment se créent des magies pour apaiser la douleur.

L’écriture donne la mesure de cette douleur immense. Les souvenirs effleurent à la visite des lieux, à la mémoration des noms des parents, des amis, des voisins. « Je suis seule, sur une terre étrangère où personne ne m’attend plus. »

A la suite de ce séjour dans son passé enfuit, elle trouve la force d’écrire son premier livre. C’est son autobiographie, « Inyenzi ou les Cafards ». Scholastique dresse alors, à ses disparus, un « tombeau de papier ».

Jacques Ould Aoudia, Économiste, et Vice président de l’association franco- marocaine «Migrations et développement ».

 

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