Un outil d’analyse puissant pour comprendre les sociétés du Sud
NWW élaborent un « modèle » d’économie politique d’une grande puissance… pour analyser et comprendre la marche des sociétés du Sud. « L’ordre social à accès limité » offre en effet un outil d’analyse pour « lire », décrypter, les sociétés du Sud. Avec des élites regroupées autour du pouvoir politique. Qui ont la main sur l’élaboration des règles, et bloquent l’accès au cercle étroit des insiders. Même si d’autres cercles plus larges se constituent. Là où les classes moyennes urbaines instruites peuvent trouver une certaine place, par leur travail. Mais l’essentiel des richesses s’acquière par la proximité avec le pouvoir. Dans des opérations essentiellement rentières (marchés publics, agréments…). Le cas du foncier péri-urbain est emblématique d’un canal d’enrichissement par proximité avec le pouvoir dans les pays du Sud. A tout le moins, dans les pays non pétroliers où l’accès à la rente s’effectue par d’autres voies.
Globalement, le cadre d’analyse s’avère donc utile pour comprendre l’économie politique des sociétés du Sud.
Cependant, ces analyses s’effectuent avec une sous-estimation du rôle majeur de l’Etat. Surtout là où il a pris une place éminente dans les régulations sociales et politiques de certains de ces pays. Cela a été le cas des Dragons d’Asie du Sud-Est dans les années 1980-1990. Avec, à la clé, leur « émergence » fulgurante. C’est encore le cas en Chine, au Vietnam.
Vision idéalisée sur les sociétés du Nord
Leur approche reste très « néo-classique ». Qui explique les écarts à l’idéal du modèle par des « imperfections de marchés ». Tandis que la base reste saine: une concurrence politique (la démocratie) combinée à une concurrence économique (le marché). Ils ne voient pas que la démocratie, l’Etat, sont « capturés » par les marchés. Ou plutôt par les grands firmes mondialisées. Des firmes qui dictent les règles du jeu à leur profit exclusif. Certes, une certaine ouverture de l’ordre social permet à des individus talentueux de rejoindre le cercle étroit des insiders.
Et le champ des enjeux sociétaux est vaste pour donner à la « démocratie » des espaces de débats dans l’élaboration des préférences collectives. Les résultats, portent sur des terrains où les personnes s’affrontent sur un mode horizontal. Sans remettre en cause les relations verticales de prédation du haut. Ils n’ont pas d’incidence financière, les sociétés peuvent jouer et débattre à l’infini sans risque pour les insiders.
Autre critique : NWW ne prennent pas en compte le poids de la mondialisation libérale. Qui modifie en profondeur l’économie politique des sociétés. Les insiders nationaux pèsent peu, s’ils restent à l’échelle nationale. Ils pèsent peu face aux acteurs des firmes multinationales et aux bureaucraties des organisations comme l’Union européenne, le FMI, la Banque mondiale. Car les responsables politiques nationaux ont abdiqué leur pouvoir au profit des grandes firmes mondialisées. Celles-ci ont capturé les Etats et étranglé la concurrence par leur concentration à des échelles qui échappent aux politiques publiques.
Paradoxalement, ce sont des penseurs du Nord qui parviennent à créer une brèche éclairante dans la compréhension des société du Sud, de leur économie politique. Et ils le font dans une approche non normative, non surplombante. Pour eux en effet, la marche des sociétés du Sud n’est pas pathologique. Sur ce dernier point, c’est la thèse que je soutiens dans SUD !, Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud (Ed L’Harmattan). C’est d’ailleurs ce point qui a motivé mon investissement avec NWW.
Mais ces auteurs restent partiellement aveugles sur le fonctionnement de leur propre société, au Nord.
Jacques Ould Aoudia, Économiste, et Vice président de l’association franco- marocaine «Migrations et développement ».