Le 4 mai 1978, deux individus assassinent Henri Curiel à Paris, dans le V° arrondissement où il habitait. Qui était cet homme discret, assassiné par des tueurs professionnels dans un grand luxe de précautions ? A ce jour, personne n’a encore réellement percé le mystère de ce meurtre. Mais de fortes hypothèses sont là.
« Un homme à part » (Editions Fayard) de Gilles Perrault forme un récit d’aventures sur le parcours d’un homme exceptionnel qui a traversé le XX° siècle avec l’obsession de l’émancipation des peuples du Sud. Emancipation sociale, émancipation nationale. Avec ses contradictions, ses succès, ses échecs. Un récit qui nous fait découvrir plusieurs pages de l’Histoire entre Sud et Nord auxquelles Henri Curiel a attaché son nom, dans la discrétion et l’efficacité. L’épopée d’un homme exceptionnel que Gilles Perrault restitue dans sa complexité.
Gilles Perrault, avec sa belle écriture, nous parle d’Henri Curiel, juif égyptien issu d’une riche famille de banquiers, créateur du Parti communiste égyptien dans les années 1940. Une période confuse de la Seconde Guerre Mondiale au Caire. Combattre le colonialisme britannique ou faire cause commune avec lui contre les Allemands nazis qui promettaient de libérer l’Egypte du joug colonial ? Rommel menace l’Egypte, avec ses divisions postées en Libye. Montgomery va-t-il réussir à empêcher son déferlement sur ce pays charnière, l’Egypte ?
Après la guerre, et alors que l’Etat d’Israël vient d’être créé dans la douleur des Palestiniens, Curiel se réfugie en Italie puis en France où il aura le statut d’apatride. De là, il va participer, aux côtés de Jeanson, à animer un réseau de soutien aux nationalistes algériens qui luttent pour s’arracher du joug colonial que la France fait peser depuis 1830 sur le pays. Le soutien consistera à faire passer au FLN les sommes récoltées en France auprès de la communauté algérienne, vers une banque suisse. Et à cacher des dirigeants algériens pourchassés par la police. L’Algérie avait été transformée en colonie de peuplement. Ce qui rendra particulièrement douloureux l’agonie de l’empire français dans ce pays.
1962, Indépendance de l’Algérie. Curiel et ses amis militants se tournent alors vers le soutien aux Mouvements de Libération Nationale (MLN) qui éclosent dans nombre de pays d’Afrique. Ils mettent sur pied le réseau « Solidarité ». Le soutien s’étend aux sociétés qui luttent contre le fascisme, au Portugal, en Espagne, en Grèce. En Afrique du Sud, sous le régime d’apartheid. De 1962 à 1965, l’Algérie de Ben Bella finance « Solidarité ».
Inlassable d’énergie, pragmatique, froid et chaleureux à la fois, solide dans son savoir-faire de clandestin, Curiel s’active. C’est un organisateur, mais il reste un militant politique. Faux papiers, formation à la répression, transferts de fonds, hébergement de militants pourchassés… des dizaines de cadres des MLN vont se former et se renforcer auprès des militants de France. Des liens se tissent entre eux. Parmi les militants nationalistes, Mehdi Ben Barka prépare la Conférence Tricontinentale, suite à la Conférence de Bandung. Mais le leader marocain va tomber, à Paris, dans le piège mortel tendu par les services secrets américains alliés à des éléments français. A la barbe du président De Gaulle impuissant. Un coup très dur pour Curiel et pour les MLN.
Et pendant tous ces épisodes, Curiel reste les yeux fixés sur le Proche Orient. Son obsession, parvenir à établir la paix entre Israël et les pays arabes. Inlassablement, il va mettre en contact des hommes de paix dans les deux camps, pour tenter de construire un avenir qui ne soit pas celui de la colonisation sanglante qui s’installe. Et qui dure jusqu’à nos jours !
Jacques Ould Aoudia, Économiste, et Vice président de l’association franco- marocaine «Migrations et développement ».