Élections en France: le prix du mépris

05 juillet 2024 - 08:43

Nul ne peut se dire surpris par le séisme politique que vit la France en ce début d’été 2024. Pour être multiples, les causes principales en sont connues. Le plus étrange/dramatique, c’est que les organisations progressistes soient restées aveugles à en porter l’expression politique et proposer des réponses dans un sens humaniste, égalitaire, solidaire.

Ce n’est pas, selon moi, le racisme qui est au cœur de ce ressentiment puissant, du moins pas directement. Et l’évocation des filiations des fondateurs des mouvements d’extrême droite, de Vichy à l’OAS, sont inaudibles pour l’immense majorité des électeurs qui ont voté pour l’extrême droite.

Sur le fond, nous assistons depuis quelques décennies à un puissant (re) sentiment de déclassement social de larges couches de la population: couches populaires, couches moyennes, couches rurales. Celles qui avaient déjà tiré la sonnette d’alarme en occupant les ronds-points en gilets jaunes. Une réponse à coups de matraques et de boniments. L’orage passé, rien n’a été entendu. Humiliations, mépris.

Ressentiment de déclassement social

Tout d’abord, ce ressentiment de déclassement social tire sa force d’une puissante perception de non-reconnaissance, d’abandon. La politique se pense, se dit, se manifeste, se « met en culture » par et pour les classes urbaines, instruites, multiculturelles, plutôt CSP+ (catégorie socio professionnel). De leur côté, les forces économiques qui ont « capturé l’Etat » pour orienter les politiques publiques en leur faveur sont, de fait, derrière ces urbains, « gagnants symboliques » de la mondialisation. Elles ont, en outre, mis la main sur les principaux organes de presse pour manipuler l’opinion. Il faut reconnaitre qu’ils ont trouvé des bonimenteurs efficaces, ces dernières années.

Concrètement, sur le terrain, cela passe par un profond recul des accès aux commodités publiques, par l’éloignement, par le barrage numérique, par le prix (transports, habitat) … Médecins introuvables, hôpitaux lointains et débordés, services fiscaux et sociaux robotisés, école de plus en plus à deux vitesses… les conditions de vie se sont profondément dégradées avec la marchandisation de la société. C’est aussi un sentiment de non-reconnaissance au travail. Les patrons, mais aussi les dirigeants syndicaux, sont loin. Ils ne connaissent pas le travail concret des salariés qu’ils emploient ou qu’ils sont sensés défendre. Ils sont incapables d’écouter leurs demandes qui ne portent pas que sur les salaires. Humiliations, mépris.

Non pas un mépris manifeste, par l’arrogance et l’insulte. Mais par la non écoute. Un mépris subtil, discret, qui s’est insinué sournoisement dans la vie quotidienne: dans la non prise en compte des difficultés quotidiennes à joindre les deux bouts, dans le non espoir de promotion sociale, pour soi, pour ses enfants, la non reconnaissance au travail, l’incertitude de débouché des études, de son avenir de retraité… Humiliations, mépris.

Quand ils répondent, les partis de gouvernement pensent en termes de compensations financières (partielles). Comme si tout se résolvait par quelques oboles en monnaie. Mais rien en termes d’écoute, de reconnaissance, de prise en considération ! Aucune inflexion significative des politiques publiques, par exemple, en matière d’action sur le territoire. Humiliations, mépris.

L’idée « d’intérêt général » recule. De même celle du « service public » (nous ne sommes plus des usagers des transports, mais des clients).

L’idée d’égalité recule, comme l’atteste le retournement spectaculaire du mot « privilège », désormais brandi dans les annonces publicitaires pour vous signifier qu’avec telle « carte privilège », vous aurez tel avantage.

Marchandisation et migration

Un facteur qui relève de la présence sur notre sol de milliers de personnes qui y vivent et y travaillent. Dont les origines, parfois lointaines, se situent, principalement, dans l’ex-empire colonial. La mise en exergue de la réussite de certains d’entre eux, pour donner une place à ces talents qui éclosent sur le sol de France (artistes, journalistes, intellectuels, sportifs…) accroit, pour les pires des raisons, ce sentiment de déclassement.

Faisons un rapide détour par le Brésil des premières présidences de Lula (2003-2011), pendant lesquelles le fléau de la faim, qui affectait majoritairement les Noirs pauvres, avait été considérablement réduit. Et bien, ce progrès social incontestable a poussé, par dépit, le bas des classe moyennes blanches vers les mouvements d’extrême droite. Et Bolsonaro en a recueilli les fruits lors de son élection en 2019.

La sociologue Sylvie Laurent a analysé ce phénomène aux Etats Unis dans son ouvrage « Pauvres petits blancs ». Elle montre comment le mouvement de lutte pour les Droits civils des années 1960 a poussé les classes populaires blanches déclassées par la mondialisation (désindustrialisation) vers les fractions les plus extrémistes du Parti Républicain. Par dépit, également. Reagan puis Trump ont récolté ces fruits.

Ces défis sont complexe à relever. Cela suppose l’investissement de politiciens, de journaliste, d’intellectuel, de militants syndicalistes, associatifs qui, chacun dans son registre, peuvent délivrer des messages sans ambiguïté sur notre destin commun, fait à la fois d’ancrage concret dans nos valeurs républicaines et d’ouverture sur le monde. Et peser pour une réelle inflexion des politiques publiques au service de toutes les couches de la population.

Comme cela a été le plus souvent le cas dans l’histoire longue de la société française. En forme de nécessités à nos horizons environnementaux, sociaux, démocratiques, mais aussi démographiques.

En attendant, un vote clair de barrage total à l’extrême droite s’impose. Les défis à relever, c’est après ce préalable.

Jacques Ould Aoudia, Économiste, et Vice président de l’association franco- marocaine «Migrations et développement ».

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