Une passerelle stratégique : comment le Maroc relie l’Amérique latine, l’Afrique et le Golfe

13 août 2025 - 22:31

À l’heure où les lignes de force de la géopolitique mondiale se redessinent, le Maroc se positionne comme un acteur-passerelle capable d’articuler trois espaces stratégiques : l’Amérique latine, l’Afrique et les pays du Golfe. Une position géostratégique qui se double d’une diplomatie économique tournée vers l’investissement, l’innovation et la coopération Sud-Sud.

Portée par la vision royale, l’Initiative Atlantique lancée en 2023 entend transformer la façade maritime marocaine en levier stratégique et moteur de développement. Cette vision repose sur une idée simple et puissante : l’Atlantique est une matrice d’échanges et d’alliances, un corridor naturel où transitent les flux commerciaux, énergétiques et technologiques. Du port de Dakhla Atlantique à l’intégration logistique avec les pays de l’Afrique de l’Ouest, Rabat construit un maillage qui a vocation à s’étendre au-delà du continent.

Dans un discours fondateur, SM le Roi Mohammed VI a souligné que “la façade atlantique de l’Afrique ne doit plus rester en marge des grands courants de développement”, appelant à en faire “un espace de solidarité, de prospérité partagée et de co-développement avec les partenaires du Sud et d’autres régions du monde”. Ce cap fixé au plus haut niveau politique donne au projet une dimension stratégique et une légitimité qui dépassent le seul cadre économique.

Dans ce contexte, les relations avec l’Amérique latine prennent un relief particulier. L’Atlantique, en tant que mer partagée, relie les deux rives par des histoires croisées, des migrations et des échanges qui précèdent même les routes commerciales modernes. Les deux régions disposent d’atouts comparables : richesse en ressources naturelles, potentiel énergétique, diversité agricole et ouverture maritime. Elles font aussi face à un défi commun : diversifier leurs partenariats et réduire la dépendance vis-à-vis des grands pôles de pouvoir traditionnels. Cette complémentarité s’exprime déjà dans les échanges agricoles — avec le Maroc comme fournisseur clé d’engrais phosphatés pour le Brésil ou l’Argentine — et pourrait s’étendre aux énergies renouvelables, aux infrastructures portuaires et aux technologies vertes.


 L’Atlantique est une matrice d’échanges et d’alliances, un corridor naturel où transitent les flux commerciaux, énergétiques et technologiques .


Le troisième pilier de ce triangle stratégique réside dans la relation privilégiée du Maroc avec les États du Golfe. Lié à Riyad, Abou Dhabi, Doha ou Koweït par des accords d’investissement et des convergences politiques, le royaume joue le rôle d’interlocuteur fiable et de relais africain pour ces puissances. Les fonds souverains du Golfe, en quête de diversification et de sécurité alimentaire, voient dans l’Amérique latine un partenaire de choix. Or, passer par le Maroc, avec sa double appartenance africaine et atlantique, leur offre un avantage logistique et diplomatique.

La triangulation Maroc–Golfe–Amérique latine s’inscrit désormais dans un contexte où la coopération Sud-Sud devient un impératif stratégique. L’instabilité des chaînes d’approvisionnement, la transition énergétique et la compétition technologique imposent de nouvelles alliances. L’annonce récente d’un Comité d’Investissements réunissant la CAF (banque de développement de l’Amérique latine et des Caraïbes), le Groupe de Coordination Arabe et le Fonds pour le développement de l’OPEP illustre ce tournant. Le Maroc, fort de ses accords avec la CAF et de son rôle dans les forums afro-latino-arabes, a toute légitimité pour devenir un catalyseur de projets transatlantiques.


La triangulation Maroc–Golfe–Amérique latine s’impose aujourd’hui comme un impératif stratégique .


Le secteur énergétique est sans doute le terrain le plus fertile. Les ambitions marocaines dans le solaire et l’éolien, associées aux capacités financières du Golfe et au potentiel de production de biomasse ou d’hydrogène vert en Amérique latine, peuvent générer des synergies majeures. À terme, on pourrait imaginer des corridors d’exportation d’hydrogène vers l’Europe, combinant production brésilienne et infrastructure portuaire marocaine.

Mais l’énergie ne suffit pas. L’économie numérique et la logistique sont deux autres vecteurs de rapprochement. Les hubs marocains de Tanger Med ou de Dakhla peuvent servir de plateformes de redistribution vers l’Afrique et l’Europe, tandis que les investissements dans les data centers et les réseaux à haut débit ouvriraient de nouvelles perspectives pour l’intégration digitale Sud-Sud.

Toutefois, cette ambition exige une diplomatie agile. Les relations entre Rabat et certaines capitales latino-américaines ont longtemps été influencées par la question du Sahara marocain. Aujourd’hui, une évolution notable s’opère : l’Équateur, le Panama et le Pérou ont suspendu leur reconnaissance de la prétendue “RASD”, tandis que le Brésil, le Paraguay et le Chili ont exprimé un soutien clair au plan d’autonomie marocain, allant jusqu’à adopter des résolutions parlementaires en ce sens. Le défi consiste désormais à consolider cette dynamique en dissociant les divergences politiques résiduelles de la coopération économique, et en bâtissant des partenariats sur des intérêts mutuels tangibles. C’est là que le Maroc peut capitaliser sur sa réputation de médiateur pragmatique et de partenaire fiable, reconnu aussi bien à Brasília qu’à Riyad ou Abou Dhabi.


 Le pont atlantique marocain peut se transformer en un espace vivant où se croisent le dialogue, la créativité et l’ingéniosité partagée.


 

Sur le plan géopolitique, cette stratégie répond à une logique de diversification et d’autonomie stratégique. Dans un monde où les blocs s’affrontent et où les tensions commerciales s’exacerbent, multiplier les canaux d’échange et d’investissement permet de renforcer la résilience.

En filigrane, il y a aussi une dimension culturelle et humaine. Les liens tissés par les diasporas, les échanges universitaires ou les coopérations artistiques renforcent la confiance mutuelle et préparent le terrain pour les affaires. Le pont atlantique marocain peut devenir un espace vivant où se croisent dialogue, créativité et innovation partagée.

L’Atlantique, longtemps perçu comme une frontière, redevient ainsi un espace de convergence. Pour le Maroc, l’enjeu ne se limite pas à exploiter un emplacement privilégié : il s’agit de transformer cet avantage naturel en levier de puissance durable. En ouvrant cette voie, le royaume trace aussi une ligne de force dans la carte mouvante des alliances du XXIᵉ siècle.

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