Sur les pas de Colomb : un Marocain à la rencontre de l’Amérique latine

31 août 2025 - 12:23

Avec Sur les pas de Christophe Colomb en Amérique du Sud, Mohamed Mohamed Khattabi vient de recevoir le prestigieux Prix Ibn Battouta de littérature de voyage 2025. L’écrivain et diplomate marocain propose un récit où la curiosité érudite se mêle à l’expérience vécue, en revisitant les traces du navigateur génois au Mexique et au Pérou. Son livre dépasse pourtant la simple chronique : il éclaire l’histoire coloniale depuis une perspective marocaine, et révèle les liens méconnus qui unissent le Maghreb et l’Amérique latine.

Le choix de Khattabi d’inscrire son travail dans la tradition du voyage constitue un geste réfléchi. Le Maroc a produit, au fil des siècles, des figures majeures de cette littérature, à commencer par Ibn Battouta, dont la traversée du monde au XIVᵉ siècle reste une référence universelle. En intitulant son ouvrage Sur les pas de Christophe Colomb, Khattabi place son récit dans une continuité critique : Colomb symbolise l’ouverture d’un monde nouveau, mais aussi la violence des conquêtes. Face à cette mémoire ambivalente, l’auteur marocain choisit d’interroger les mythes, de confronter les archives aux réalités actuelles et d’écouter la voix des peuples qui ont survécu aux cataclysmes de la colonisation.

L’ouvrage se déploie en trois grandes parties. La première relit l’« épopée » de 1492 et les récits fondateurs qui l’accompagnent. Khattabi rappelle que parler de « découverte » relève d’un abus de langage : l’Amérique n’était pas une terre vierge, mais un continent habité, riche de civilisations millénaires comme les Aztèques, les Mayas, les Incas. Revisiter les journaux de Colomb revient donc à débusquer les silences et à mettre en lumière la part d’idéologie qui a nourri la légende.

La deuxième partie entraîne le lecteur au Mexique. Là, l’auteur explore la mémoire des Mayas et des Aztèques, mais aussi la vitalité d’un pays où la culture populaire — musique mariachi, fêtes du Jour des Morts, artisanat coloré — témoigne d’une créativité continue. Ce qui frappe chez Khattabi, c’est sa capacité à dépasser les ruines spectaculaires et les musées prestigieux pour s’attarder sur les gestes quotidiens. Le voyage se fait ainsi enquête anthropologique et immersion sensible.

La troisième partie conduit au Pérou, « terre de l’or » et royaume des Andes. Le récit évoque la grandeur de l’empire inca, la splendeur des sites comme Machu Picchu ou les mystérieuses lignes de Nazca, mais aussi les souffrances des peuples réduits en esclavage, les spoliations, la mémoire d’une conquête brutale. Le regard marocain de Khattabi confère une tonalité particulière à cette exploration : il décèle des résonances entre les luttes indigènes et les expériences de résistance vécues par d’autres peuples du Sud global.

Ce qui frappe dans l’écriture de Khattabi, c’est la manière dont il conjugue deux dimensions. D’un côté, l’érudition : l’auteur mobilise une vaste documentation, cite des historiens et des écrivains latino-américains, replace les événements dans une perspective mondiale. De l’autre, la subjectivité du voyageur : ses séjours prolongés au Mexique et au Pérou lui offrent une proximité avec les lieux, une familiarité avec les habitants, une expérience charnelle de la culture. Le texte alterne ainsi entre analyse et témoignage, entre mémoire personnelle et réflexion critique.

Au-delà du récit de voyage, Sur les pas de Christophe Colomb en Amérique du Sud propose une méditation sur les usages de l’histoire. Parler de Colomb, c’est parler de la colonisation, de ses héritages et de ses blessures. Mais Khattabi refuse de réduire cette mémoire à une opposition binaire. Il cherche plutôt à révéler les zones de rencontre, les métissages, les hybridations qui ont façonné l’Amérique latine contemporaine. Dans ce sens, son livre s’inscrit dans une perspective de dialogue : comprendre l’Autre pour mieux saisir ce qui nous unit.

Le prix Ibn Battouta, qui distingue chaque année des œuvres de littérature de voyage, a voulu récompenser cette démarche originale. Car l’ouvrage de Khattabi n’est pas seulement un témoignage personnel : il contribue à combler un vide dans la bibliographie arabe sur l’Amérique latine. Trop souvent absente de nos horizons intellectuels, cette région apparaît ici comme un miroir du Maghreb : mêmes luttes pour la dignité, mêmes tensions entre mémoire coloniale et aspirations démocratiques, mêmes défis de développement dans un monde globalisé.

Pour les lecteurs marocains, ce livre est une invitation à redécouvrir l’Amérique latine autrement qu’à travers les clichés. Il révèle combien le voyage peut devenir une clé pour repenser les liens Sud-Sud, un outil de solidarités intellectuelles et culturelles entre continents longtemps marginalisés.

En définitive, Sur les pas de Christophe Colomb en Amérique du Sud dépasse la simple reconstitution historique. C’est une œuvre qui engage notre rapport à la mémoire, à l’identité et à l’altérité. En suivant Colomb, Khattabi rappelle que chaque voyage est une confrontation entre le connu et l’inconnu, entre soi et l’Autre. Et que la littérature de voyage, loin d’être un genre mineur, demeure un outil précieux pour comprendre le monde et pour construire des passerelles entre des cultures apparemment éloignées.

Quand les commémorations officielles peinent à rassembler, Khattabi montre que la rencontre, l’écoute et la reconnaissance de l’autre dessinent une voie plus féconde : celle d’un voyage qui relie au lieu de diviser.

Partager l'article

Partagez vos idées

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *