L’équipe du film tunisien « The Voice of Hind Rajab », menée par la réalisatrice Kaouther Ben Hania, brandit à la Mostra de Venise le portrait de la fillette palestinienne tuée à Gaza, dont l’histoire inspire l’œuvre présentée au festival.
La 82ᵉ Mostra de Venise a rappelé que le cinéma ne se limite pas à la célébration des stars et des tapis rouges. Avec The Voice of Hind Rajab, la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania a transformé un festival de prestige en espace de mémoire et de conscience, portant à bout de bras le portrait d’une fillette palestinienne tuée à Gaza.
L’image restera sans doute comme l’un des moments les plus marquants de cette édition. Sur la scène du Lido, la cinéaste est apparue vêtue de noir et d’or, tenant la photo de Hind Rajab, petite fille de six ans assassinée le 29 janvier 2024 à Gaza, après des heures passées au téléphone avec les secouristes de la Croix-Rouge palestinienne. En mêlant images réelles et reconstitution, son film raconte l’attente désespérée de cette enfant réfugiée dans une voiture avec sa famille, avant que les tirs n’achèvent le drame. Dans une Mostra souvent marquée par les projecteurs et la frénésie médiatique, ce silence imposé par une photo a eu la force d’un coup de tonnerre.
L’accueil du public fut à la hauteur : vingt-trois minutes d’ovation, comme si l’auditoire cherchait à prolonger la présence fragile de l’enfant disparue. Le cinéma, rappelait Ben Hania, n’a pas seulement pour fonction de divertir mais aussi de restituer l’humanité de ceux que la guerre réduit à des statistiques. “Nous voyons partout des chiffres, mais rarement des visages. L’art existe pour leur rendre voix et dignité”, a-t-elle déclaré.
Le contexte a amplifié cette résonance. Depuis l’ouverture du festival, Gaza a hanté les conversations. Un collectif de cinéastes italiens, Venice4Palestine, a publié une lettre ouverte dénonçant l’offensive israélienne. Quelques jours plus tard, des milliers de manifestants ont défilé sur le Lido en solidarité avec les Palestiniens. Jamais le contraste entre le faste des projections et la gravité du monde n’a semblé aussi saisissant.
La Mostra n’a pourtant pas cessé de briller par sa diversité artistique. Guillermo del Toro a présenté une nouvelle adaptation de Frankenstein, François Ozon a revisité L’Étranger de Camus et Jude Law a incarné un Vladimir Poutine glaçant dans Le Mage du Kremlin. Mais, au-delà des stars hollywoodiennes et des fresques spectaculaires, c’est bien la petite Hind Rajab qui a donné le ton moral de cette édition.
Il faut voir dans cet instant une leçon adressée à l’ensemble du monde culturel. Le cinéma n’est pas un luxe détaché de la vie, il est une langue universelle capable d’affronter les tragédies et d’en témoigner. À Venise, capitale éphémère du septième art, la voix d’une enfant palestinienne a traversé les murs de la salle pour rejoindre une opinion publique bouleversée, en Europe comme au Maghreb.
La Mostra 2025 restera donc dans les mémoires comme le festival où les applaudissements les plus longs n’ont pas été pour une star, mais pour une victime. Dans ce contraste se dessine la vraie puissance du cinéma : rappeler que derrière chaque récit, chaque image, il y a des vies, des regards, des destins interrompus. Et que parfois, un portrait tenu à bout de bras peut peser plus lourd que n’importe quelle Palme, Lion ou Oscar.