« La Tbourida au féminin : quand les héritières du Maroc réinventent la chevauchée des ancêtres »

06 septembre 2025 - 16:46

Il y a dans la poudre et dans le hennissement des chevaux un souffle de mémoire qui traverse les siècles. La tbourida, ce spectacle équestre qui reproduit les charges des anciens combattants, continue de vivre aujourd’hui sur les plaines marocaines. On y voit surgir, dans un nuage de poussière et de feu, non seulement les cavaliers bardés de burnous, mais aussi des femmes, filles et petites-filles d’anciens « moqaddem », qui portent à leur tour ce flambeau.

Dans un reportage publié par Ahmad Bentaher pour l’agence Anadoul, l’histoire d’Amal El Hamri incarne cette transmission. Cavalière depuis plus de vingt ans, formée par son grand-père à Kénitra, elle rappelle que la passion de sa mère — privée de chevaux par les contraintes sociales de son époque — s’est réalisée à travers elle et sa sœur. « La tbourida est un amour, une filiation, et aussi un héritage », confie-t-elle.

L’image de ces cavalières qui s’élancent aux côtés de leurs homologues masculins traduit un changement subtil, mais profond. El Hamri insiste : il ne s’agit pas de rivalité, mais de complémentarité. La femme, dit-elle, « donne une autre beauté au terrain, au même titre que l’homme ». On mesure alors le poids des mots, car ce dont il est question dépasse la simple performance sportive pour relever d’un art total, nourri de discipline, de solidarité et de rigueur. Être « moqaddem », chef de troupe, reste une charge avant d’être un honneur.

La tbourida, telle qu’on la voit aujourd’hui dans les festivals de Kénitra, El Jadida ou Marrakech, n’est pas qu’un spectacle folklorique destiné à séduire un public curieux. Elle est un condensé de savoir-faire : l’élevage du cheval barbe et arabe-barbe, l’art minutieux des selles brodées, les habits éclatants taillés par des artisans, jusqu’aux bottes de cuir façonnées selon des gestes anciens. Autour du tonnerre des fusils, c’est tout un univers qui s’exprime, où se rejoignent tradition, artisanat et fierté nationale.

La présence féminine élargit encore ce patrimoine. Elle dit la volonté d’un Maroc qui ne cloisonne pas son héritage, mais qui le partage. Dans les rangs des sorbas, ces troupes de cavaliers et cavalières, la clameur du public se fait plus vive quand la détonation finale retentit à l’unisson. Cet instant suspendu, qui allie précision technique et beauté chorégraphique, devient métaphore : l’héritage des ancêtres se renouvelle dans les mains des nouvelles générations, sans exclure ni les filles ni les fils.

La tbourida féminine se présente avant tout comme une voie de transmission : elle permet de préserver la vitalité d’un art martial et festif tout en l’inscrivant dans les exigences du XXIᵉ siècle. Les jeunes cavalières qui s’élancent aujourd’hui participent à cette transformation. Elles rappellent que la tradition reste vivante lorsqu’elle se déploie comme une matière en mouvement, respirant au rythme du temps, s’ouvrant à de nouveaux horizons et se transmettant par des formes sans cesse renouvelées.

Dans un Maroc qui prépare ses grands rendez-vous culturels et sportifs, l’image des femmes cavalières, fières dans leurs habits chamarrés, incarne une modernité enracinée. C’est une leçon pour nous tous : la mémoire n’appartient pas à un genre, mais à une communauté. Et si la tbourida continue de fasciner, c’est précisément parce qu’elle conjugue au présent l’art, la bravoure et le souffle d’un peuple qui refuse d’oublier.

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