La défaite du président argentin dans le bastion électoral de Buenos Aires révèle la fragilité de son projet et l’impact corrosif du “karinagate”.
Le président argentin Javier Milei s’était promis de planter “le dernier clou dans le cercueil du péronisme”. Les électeurs de la province de Buenos Aires ont choisi un tout autre récit. Avec 95 % des bulletins dépouillés, la coalition péroniste Fuerza Patria menée par le gouverneur Axel Kicillof s’est imposée avec 47,2 % des voix, contre 33,8 % pour La Libertad Avanza, le parti présidentiel. Dans une province qui concentre 40 % de l’électorat national, la claque est d’autant plus sévère qu’elle était censée inaugurer la revanche du pouvoir central sur son rival historique.
Le revers arrive au pire moment pour Milei. Après avoir surfé sur une image d’iconoclaste prêt à “écraser le kirchnérisme”, il est désormais miné par une double crise : économique et morale. Les fameux “audios Spagnuolo”, qui accusent Karina Milei – sœur et bras droit du président – d’avoir touché des pots-de-vin sur des achats publics de médicaments destinés aux personnes handicapées, ont bouleversé l’opinion. La presse a baptisé l’affaire “karinagate” et la cote de popularité du chef de l’État s’est effondrée à 39 %, son niveau le plus bas depuis son arrivée au pouvoir.
La sanction des urnes exprime aussi un malaise plus profond. L’économie, longtemps vitrine du mileísmo, donne des signes d’essoufflement : croissance atone, intervention sur le marché des changes, hausse des taux d’intérêt. Face à ces difficultés, la promesse d’une “révolution libérale” s’est réduite à une austérité brutale. Les électeurs de Buenos Aires, nombreux à dépendre des politiques sociales, n’ont pas pardonné. Dans plusieurs circonscriptions, des affiches improvisées rappelaient le chiffre “3 %”, en allusion au scandale des commissions occultes.
Le contraste entre Milei et Kicillof est frappant. Le gouverneur péroniste, réélu triomphalement, a aussitôt capitalisé sur le résultat en se projetant vers 2027. Dans son discours, il a martelé que “les urnes ont dit non aux coupes dans les retraites, la santé, l’éducation et la culture”. En filigrane, c’est l’esquisse d’une candidature présidentielle qui prend forme.
L’opposition ne se contente pas de célébrer. Elle impose désormais le rythme du débat national, tandis que le président accumule des défaites au Parlement. Si les législatives d’octobre lui échappent, l’agenda de coupes budgétaires sera paralysé. Le risque est alors d’entrer dans un cycle où Milei gouvernerait en minorité permanente, prisonnier de ses propres excès rhétoriques et de l’ombre grandissante du scandale.
La réaction de l’ancien outsider libertarien, reconnaissant une “défaite claire” tout en promettant de poursuivre la même ligne, illustre une contradiction : accepter le verdict démocratique tout en refusant d’en tirer les conséquences. Le mileísmo s’était construit sur l’image d’un bulldozer antisystème ; il pourrait à présent se heurter à l’usure prématurée d’un système qu’il n’a pas su transformer.
Le scrutin provincial de Buenos Aires dépasse donc son cadre local. Il inaugure un compte à rebours politique : pour Milei, la capacité à sauver son programme et son autorité d’ici octobre ; pour Kicillof, la possibilité de se poser en alternative crédible à l’horizon 2027.