L’alerte de l’IDEA : la liberté de la presse au plus bas depuis un demi-siècle

11 septembre 2025 - 17:25

Le dernier rapport de l’International IDEA tire une sonnette d’alarme : la liberté de la presse a connu, entre 2019 et 2024, son recul le plus abrupt en cinquante ans. L’érosion n’est pas l’apanage des régimes autoritaires ; elle s’installe aussi dans des démocraties réputées solides. Un constat qui interpelle directement l’espace euro-méditerranéen et invite à repenser les fondations mêmes de la vie démocratique.

La publication du Global State of Democracy Report 2025 par l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA), basé à Stockholm, marque un tournant dans la compréhension de la crise démocratique mondiale. Sur 174 pays évalués, plus de la moitié présentent un recul dans au moins un indicateur essentiel de la démocratie. Mais le constat le plus inquiétant réside ailleurs : la liberté de la presse a enregistré « sa plus forte détérioration jamais observée en cinquante ans ».

Cette conclusion, rappelée par Kevin Casas-Zamora, secrétaire général de l’IDEA, résume l’ampleur du défi : « La conclusion la plus importante de notre rapport est probablement le recul très grave de la liberté de la presse dans le monde. Jamais nous n’avions observé une détérioration aussi marquée d’un indicateur clé de la santé démocratique. » Entre 2019 et 2024, le recul s’est accéléré, touchant 43 pays de tous les continents, dont quinze en Afrique et quinze en Europe.

Le rapport met en lumière des cas paradigmatiques. L’Afghanistan, le Burkina Faso et le Myanmar, déjà fragiles, se sont enfoncés davantage, conjuguant conflits armés et effondrement institutionnel. Mais le constat devient plus préoccupant lorsqu’il s’agit de démocraties consolidées. La Corée du Sud, par exemple, connaît une multiplication de procès en diffamation intentés par le gouvernement ou ses alliés politiques contre des journalistes. Un signal qui démontre que même des institutions réputées stables peuvent basculer vers des pratiques régressives.

Les causes de ce déclin s’articulent autour de deux dynamiques. D’un côté, l’intervention croissante des gouvernements sous diverses formes : censures explicites, pressions judiciaires, surveillance numérique ou restrictions déguisées sous couvert de sécurité nationale. De l’autre, l’usage stratégique de la lutte contre la désinformation comme prétexte pour réduire l’espace critique. L’IDEA souligne que la pandémie de Covid-19 a servi de laboratoire pour ces restrictions, transformant des mesures exceptionnelles en pratiques normalisées.

À ces dynamiques politiques s’ajoutent des fragilités structurelles. La concentration des médias dans quelques mains réduit le pluralisme et appauvrit le débat public. Chaque fermeture d’un journal local représente davantage qu’une faillite économique : c’est une perte de voix dans l’arène démocratique. L’IDEA insiste sur ce point : « La disparition des médias locaux, dans de nombreux pays, érode le soutien indispensable au débat démocratique. » Dans ce vide, prospèrent manipulation et indifférence.

La fragilité économique du journalisme complète ce tableau sombre. Le rapport 2025 de Reporters Sans Frontières converge avec celui de l’IDEA : dans 160 des 180 pays évalués, les médias reconnaissent une fragilité financière qui met en péril leur indépendance. Sans viabilité économique, la liberté éditoriale devient une illusion.

Le phénomène possède en outre une dimension transnationale. Les pratiques restrictives introduites aux États-Unis sous la présidence de Donald Trump — poursuites contre journalistes, attaques rhétoriques, limitation de l’accès aux sources officielles — tendent à se propager. Comme le souligne Casas-Zamora, « ce qui se passe aux États-Unis tend à se répliquer ailleurs », annonçant des répercussions globales.

Pour l’espace euro-méditerranéen, ce constat soulève une interrogation immédiate. Comment préserver un débat public libre dans une région traversée par des tensions sécuritaires, des crises sociales et des ambitions autoritaires ? Les démocraties du Nord, souvent citées comme modèles, ne sont plus à l’abri ; les sociétés du Sud méditerranéen, confrontées à des inégalités profondes, voient leur pluralisme médiatique fragilisé par des pressions financières et politiques.

Face à ce panorama, l’IDEA ne se contente pas d’un diagnostic. L’organisation appelle à des réponses concrètes : renforcer les garanties juridiques pour protéger les journalistes, assurer la transparence dans les procédures judiciaires, soutenir économiquement les médias indépendants et préserver le rôle vital des médias locaux. Elle insiste sur la nécessité de dépasser les discours symboliques pour investir dans des mécanismes tangibles de défense du pluralisme.

Le message central du rapport résonne comme un avertissement : la liberté de la presse n’est pas une variable accessoire, elle constitue l’un des indicateurs les plus sensibles de la santé démocratique. Son affaiblissement annonce celui des autres institutions, car une société privée d’information libre perd la capacité d’exiger des comptes, de comprendre les enjeux collectifs et de décider en connaissance de cause.

La chute de la liberté de la presse documentée par l’International IDEA rappelle une vérité simple, mais urgente : sans voix indépendantes, la démocratie se vide de sens. L’heure n’est plus à la rhétorique, mais à l’action. Protéger les journalistes, garantir la diversité médiatique et soutenir les espaces critiques constitue la seule voie pour que la démocratie reste une réalité vécue et non un simple souvenir.

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