À deux semaines de la parution de ses mémoires, Kamala Harris décrit un appareil démocrate incapable de lui faire place et critique un pari jugé “imprudent”: confier à Joe —et à Jill— la décision de briguer un nouveau mandat. L’extrait publié par The Atlantic relance un débat que les démocrates pensaient clos.
Dès les premières pages, le ton se veut frontal, puisque dans 107 Days Kamala Harris affirme qu’il fut “imprudent” de laisser Joe Biden —âgé de 81 ans en 2024— décider seul, avec son épouse, de l’opportunité d’une nouvelle candidature. Elle n’invoque pas l’“incapacité”; elle parle de fatigue, de voyages à répétition, de ces failles de langage et de démarche que l’Amérique a vues à l’écran. Surtout, elle accuse un système: un choix aussi lourd n’aurait pas dû dépendre de l’ego d’un individu, fût-il président. L’extrait publié par The Atlantic fixe d’emblée le ton, sans détour et sans précaution oratoire.
Le livre paraît le 23 septembre 2025 chez Simon & Schuster. Son titre annonce la focale: les 107 jours entre le retrait de Biden et l’élection de novembre, quand Harris reprend le flambeau et affronte une carte électorale ingrate. L’éditeur promet un récit “candide”, rythmé comme un roman politique. La tournée de promotion s’organise déjà, avec des étapes sur les deux côtes.
Dans l’extrait repris par The Atlantic, Harris décrit un entourage de Joe Biden qui, loin de l’encourager, voyait chaque hausse de sa popularité comme une menace pour l’autorité du président. À l’écran, cela produisait des scènes étranges, comme cette interview où, invitée à dire ce qu’elle ferait différemment du chef de l’exécutif, elle répondit qu’aucune divergence ne lui venait à l’esprit. Sa loyauté se transforma alors en prudence excessive, une attitude qu’elle admet aujourd’hui comme une erreur stratégique. La presse américaine souligne les mêmes points saillants, insistant sur l’imprudence de la décision de candidature, la fatigue du président, la fermeture de son équipe et le sentiment persistant qu’une vice-présidente en progression d’image suscitait plus de malaise que de fierté.
Le livre peut se lire comme une tentative de reprendre l’initiative. Harris n’attaque pas la présidence Biden, elle met en avant sa compassion, son expérience et son sens moral, mais elle trace une limite claire en affirmant que la décision de 2024 fut mal conduite. Cette nuance a un poids politique évident. Aux États-Unis, une partie des médias parle de trahison tandis que d’autres y voient un exercice de vérité différée et une mise à nu d’un parti incapable, de l’Ohio à l’Arizona, de clarifier son plan de succession.
Cette confession pèse déjà sur l’horizon de 2028. Elle installe Harris au centre d’un récit où elle se présente lucide, capable d’autocritique et décidée à défendre sa version des faits, mais elle ouvre aussi une fracture mémorielle, car ceux qui ont travaillé avec Biden devront reconnaître ou rejeter ce portrait d’un cercle crispé, méfiant et prompt à diffuser des récits défavorables à sa vice-présidente, en particulier lorsqu’elle gérait le dossier migratoire. L’enjeu éditorial réside précisément dans cette tension, dire les choses avec franchise sans rompre avec la base démocrate.
La méthode mérite aussi d’être relevée. Les mémoires politiques ne constituent pas des archives neutres mais des instruments façonnés pour orienter l’opinion. Harris le sait et son récit suit une thèse: l’échec de 2024 ne se résume pas à un débat raté, il traduit une incapacité de gouverner le risque lié à l’âge, au rythme et à la transmission de l’héritage. Ainsi, 107 Days n’apparaît pas comme un réquisitoire personnel contre Biden mais comme un procès adressé à une culture partisane qui préfère les fidélités silencieuses aux choix difficiles. On ignore si cette franchise tardive aura un impact durable ou si elle servira surtout de prélude à une nouvelle candidature, mais la volonté de reprendre la main est manifeste.
Au cœur du livre, une idée simple s’impose: une loyauté dénuée de lucidité finit par coûter cher. Le parti qui s’imaginait bastion contre le trumpisme s’est révélé vulnérable à ses propres angles morts. En publiant ce récit aujourd’hui, Harris ne ferme pas seulement un chapitre, elle cherche à en redessiner l’architecture. Le débat ne se limite plus aux formes diplomatiques mais touche à la santé d’un système, et si un parti veut durer, il doit savoir rompre avec ses automatismes. C’est là la leçon, sévère et utile, de 107 Days.