Un président syrien reprend la parole à l’ONU après un demi-siècle

21 septembre 2025 - 16:26

L’image d’Ahmed al Sharaa franchissant les portes du siège des Nations unies à New York marque un tournant dans l’histoire récente du Moyen-Orient. Cinquante-huit ans après Nuredin al Atassi, un président syrien s’apprête à prendre la parole devant l’Assemblée générale. La scène condense tout un paradoxe : un pays brisé par plus d’une décennie de guerre civile revient au cœur de la diplomatie mondiale sous la voix d’un ancien chef rebelle islamiste devenu chef d’État.

Arrivé au pouvoir à la suite de la chute de Bachar al Assad en décembre 2024, Al Sharaa incarne une rupture radicale. D’un côté, son passé militaire et son appartenance à des coalitions islamistes continuent de peser sur sa légitimité internationale. De l’autre, son accession à la présidence ouvre une séquence où la Syrie tente de se réinsérer dans un système qu’elle avait déserté et qui l’avait en grande partie isolée. Ce retour sur la scène diplomatique mondiale ne se joue pas uniquement à travers un discours, mais à travers la volonté d’apparaître comme un interlocuteur capable de dépasser son héritage guerrier.

Depuis son investiture, Al Sharaa a multiplié les gestes de normalisation. Il a troqué son uniforme pour le costume officiel, s’est entretenu avec Donald Trump en Arabie saoudite et avec Emmanuel Macron à Paris. Ces rencontres, soigneusement mises en scène, visaient à montrer que la Syrie pouvait de nouveau dialoguer avec les grandes puissances. Pourtant, les sanctions de l’ONU et les restrictions de voyage qui pèsent encore sur lui rappellent que son intégration reste suspendue à des conditions strictes et que chaque déplacement à l’étranger exige une dérogation.

Le discours qu’il prononcera à New York ne sera pas seulement suivi pour son contenu, mais pour ce qu’il symbolise. L’Assemblée générale, avec ses 193 membres, reste l’espace où se construit une légitimité politique par la reconnaissance collective. L’apparition d’un président syrien après un demi-siècle, dans un contexte marqué par l’érosion du multilatéralisme, devient un test grandeur nature : jusqu’où la communauté internationale est-elle prête à tolérer ou accompagner un pouvoir issu d’une victoire militaire interne, mais encore sous le soupçon de son passé radical ?

La question syrienne a souvent été traitée comme un terrain d’affrontement indirect entre grandes puissances. La Russie a consolidé son influence durant la guerre civile, tandis que les États-Unis et l’Europe ont oscillé entre sanctions et désengagement progressif. Aujourd’hui, le fait que le président syrien se présente à New York traduit un déplacement de l’équilibre. Il cherche à inscrire la Syrie non plus comme un champ de bataille par procuration, mais comme un acteur politique qui aspire à redéfinir sa place.

Cependant, ce retour à la tribune internationale ne dissipe pas les fractures internes. Les provinces du nord restent en proie à des tensions armées, les infrastructures du pays sont exsangues et la société syrienne vit sous le poids d’un exil massif. La reconstruction annoncée se heurte à la rareté des financements et à l’absence de consensus sur l’avenir institutionnel du pays. La voix d’Al Sharaa à l’ONU portera ces contradictions : un pouvoir central qui cherche reconnaissance, mais une réalité territoriale encore morcelée.

Le souvenir de 1967 plane sur cette intervention. À l’époque, Nuredin al Atassi avait parlé depuis la tribune de l’ONU quelques mois après la guerre des Six Jours. Aujourd’hui, le contexte a changé mais le poids des guerres successives continue d’imprégner la diplomatie syrienne. Ce demi-siècle de silence révèle combien la Syrie s’est trouvée en marge d’un système international qu’elle avait contribué à secouer.

Dans cette 80ᵉ session de l’Assemblée générale, où Gaza, l’Ukraine et le climat dominent l’agenda, la parole syrienne aura du mal à monopoliser l’attention. Mais l’effet symbolique demeure. Al Sharaa, encore sous sanctions, prend la parole au nom d’un pays qui fut l’épicentre de l’instabilité régionale. Ce simple fait en dit plus qu’un long discours sur la recomposition en cours du Proche-Orient.

L’histoire retiendra peut-être cette image : un ancien chef de guerre, contesté et surveillé, qui tente depuis la tribune la plus universelle de convaincre qu’il peut désormais parler la langue des États. Entre méfiance et prudence, la communauté internationale observera si la Syrie est réellement prête à redevenir un acteur, et si son président saura transformer un symbole en projet politique crédible.

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