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L’Espagne, le Sahara marocain et le PP : une diplomatie qui hésite entre conviction et calcul

01 octobre 2025 - 10:21

Depuis trois ans, la position de l’Espagne sur le Sahara marocain oscille entre reconnaissance officielle, silence stratégique et prudence politique. Cette ambivalence, très visible dans le discours du Parti populaire (PP), traduit moins une hésitation idéologique qu’un calcul de politique intérieure et européenne.

L’un des tournants les plus importants de la diplomatie espagnole récente reste la lettre adressée en mars 2022 par Pedro Sánchez à SM le Roi Mohammed VI, qualifiant l’initiative marocaine d’autonomie comme « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre la question du Sahara. Cette prise de position avait mis fin à une longue période de crise diplomatique entre les deux pays, tout en alignant Madrid sur la ligne soutenue depuis des années par Washington, Paris et Berlin. Mais si le gouvernement socialiste a assumé ce choix avec constance, la droite espagnole, et en particulier le Parti populaire, n’a jamais vraiment clarifié sa position.

Le PP, aujourd’hui principale force d’opposition, adopte un langage à géométrie variable selon le contexte. À Bruxelles, ses représentants soutiennent la coopération stratégique avec le Maroc, notamment sur les questions migratoires, sécuritaires et économiques. À Madrid, le discours change subtilement selon l’auditoire. Lorsqu’il s’agit de rassurer l’électorat conservateur ou certains secteurs influents des médias, la référence au Sahara se fait plus froide, presque technique, comme s’il s’agissait d’un dossier extérieur à la responsabilité espagnole. Et lorsqu’il faut ménager l’extrême droite de Vox, la prudence devient ambiguïté.

Ce jeu d’équilibre connaît des antécédents. La droite espagnole est parfaitement consciente que la relation avec Rabat demeure centrale, tant pour la stabilité du détroit que pour l’avenir des deux villes occupées, Ceuta et Melilla. Elle sait aussi que tout recul ou discours hésitant sur le Sahara marocain est observé à Rabat comme un signal politique. Pourtant, plutôt que d’assumer une position claire, le PP préfère parler de « consensus d’État », laissant entendre que la décision finale devrait être renvoyée à une majorité future ou à une relecture institutionnelle. C’est une manière de ne pas contester ouvertement la position du gouvernement tout en évitant de la valider.

Dans la presse espagnole, cette nuance se reflète souvent dans le traitement de l’actualité maroco-espagnole. Certains médias proches de la droite adoptent un ton discret lorsqu’il s’agit de rappeler la reconnaissance de 2022, comme si elle n’engageait que le gouvernement socialiste et non l’État espagnol. D’autres insistent sur la nécessité d’« équilibre européen », évoquant le rôle de Paris ou Berlin pour diluer la responsabilité de Madrid. Mais très peu osent poser clairement la question centrale : si le PP revenait au pouvoir, reviendrait-il sur la position de Sánchez ou la maintiendrait-il par pragmatisme ?

Le silence partiel du PP sur ce point laisse planer le doute. Mais ce doute n’échappe ni aux observateurs marocains ni aux partenaires européens. Le Maroc, qui a construit sa politique saharienne sur la reconnaissance progressive internationale, ne considère pas cette question comme un sujet fluctuant au gré des alternances politiques. Il attend de ses interlocuteurs un langage explicite, une continuité diplomatique et une cohérence stratégique, surtout de la part d’un voisin aussi proche que l’Espagne.

L’autre dimension de cette ambiguïté se trouve dans la relation triangulaire Espagne–Maroc–Bruxelles. À la veille de chaque décision concernant les accords de pêche, les frontières, ou encore la coopération migratoire, la droite espagnole tente d’apparaître comme protectrice des intérêts nationaux tout en évitant de contrarier Rabat. Cette posture prudente peut sembler habile sur le court terme, mais elle crée un flou qui affaiblit la crédibilité diplomatique à long terme.

L’opinion publique espagnole, de son côté, n’a pas toujours les clés pour comprendre l’importance géostratégique de ce dossier. Les sondages montrent que la question du Sahara n’est pas perçue comme prioritaire par les électeurs, sauf dans les régions directement concernées. Cela permet aux partis, en particulier au PP, de rester vagues sans en payer immédiatement le prix électoral. Mais ce choix comporte un risque : celui de laisser la relation avec Rabat dépendre d’équilibres internes qui n’intègrent pas toujours la dimension internationale.

À moyen terme, la position de l’Espagne ne pourra pas reposer sur une diplomatie en suspens. La stabilité énergétique, la sécurité du détroit, la gestion des frontières, les investissements et le rôle croissant de l’Afrique dans les équilibres européens exigent des positions claires. Le Maroc, partenaire central sur ces fronts, ne se satisfait plus des promesses implicites ni des formulations prudentes.

Le PP devra tôt ou tard répondre à une question simple : considère-t-il que la position exprimée par le gouvernement Sánchez sur le Sahara engage l’État espagnol dans la durée ? Pour l’instant, il préfère le silence stratégique. Mais dans les capitales européennes comme à Rabat, on sait que le véritable langage d’un pays ne se lit pas seulement dans ses déclarations, mais dans la continuité de ses engagements.

Tant que le Parti populaire choisira d’éviter une parole ferme sur ce sujet, son discours diplomatique restera perçu comme conditionné par le jeu partisan plutôt que par une vision d’État. Et dans une région où la clarté vaut plus que l’ambiguïté, cette hésitation pourrait peser davantage qu’on ne le croit.

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