>

Flottille Sumud : Israël intimide, l’Europe se retire et la Méditerranée témoigne

01 octobre 2025 - 11:50

Ce qui s’est joué en haute mer dans la nuit de mardi à mercredi dépasse le cadre d’un incident maritime. Lorsqu’un navire de guerre israélien encercle de manière agressive un bateau humanitaire, coupe ses communications et force son capitaine à manœuvrer pour éviter la collision, ce n’est pas un simple message d’avertissement. C’est une démonstration assumée de puissance dans un espace que le droit international qualifie de neutre. Et c’est aussi le reflet du silence embarrassé des capitales européennes.

La Flottille Global Sumud n’est pas une improvisation militante ni une opération clandestine. Elle réunit plus de quarante bateaux venus d’Espagne, de Tunisie, d’Italie et de Grèce, avec près de cinq cents volontaires à bord. Son objectif est d’acheminer une aide humanitaire vers Gaza et contester le blocus imposé par Israël. Pourtant, cela suffit pour que, loin des côtes, un bâtiment militaire intervienne comme si la Méditerranée relevait d’une juridiction exclusive. Les communications ont été interrompues à distance, les caméras neutralisées, et l’équipage s’est retrouvé dans une situation de quasi-interception sans avoir été ciblé par un tir. L’intimidation se fait désormais de manière technologique et silencieuse.

Ce qui interroge, c’est la réaction – ou plutôt l’absence de réaction – des États européens officiellement impliqués. L’Espagne avait envoyé la frégate Furor comme soutien symbolique, avant de demander à la flottille de ne pas dépasser la zone d’exclusion décrétée unilatéralement par Israël à 120 milles nautiques. Rome a adopté la même ligne de retrait prudent. Madrid a justifié sa décision par la protection de son équipage et de la mission civile, tout en renonçant à toute présence dans la zone critique. Les États s’effacent dès que la tension monte, et ce sont des citoyens ordinaires qui se retrouvent à porter seuls ce que les institutions refusent d’assumer.

Devant ce désengagement, les responsables de la flottille n’ont pas mâché leurs mots. À leurs yeux, tolérer ce type d’intimidation revient à banaliser l’impunité et à réduire au silence ceux qui dénoncent un blocus jugé contraire aux normes internationales. Israël ne craint pas les gouvernements européens, précisément parce qu’ils ne franchissent ni les lignes maritimes contestées ni les seuils du langage diplomatique. Les navires de la solidarité, eux, n’ont aucun blindage à offrir, mais avancent, sans protection étatique, vers une zone où l’humanitaire est considéré comme une provocation.

L’épisode révèle une fissure profonde entre le discours officiel européen et la réalité de ses actes. Les capitales du nord de la Méditerranée condamnent verbalement les famines artificielles et les bombardements sur les civils, mais se replient dès que la mer devient un espace de tension. En renonçant à escorter la flottille ou à garantir sa sécurité juridique, l’Espagne et l’Italie reconnaissent implicitement la primauté de la dissuasion israélienne sur les normes internationales. Ce recul laisse le champ libre aux manœuvres militaires et fragilise le peu de crédibilité morale qui subsistait dans la région.

On ne traverse pas la Méditerranée comme un espace vide. C’est un lieu où les puissances se mesurent, parfois sans avertissement. Durant des décennies, elle a été le lieu où s’expérimentaient les coopérations, les blocus, les migrations surveillées et les solidarités empêchées. Les flottilles humanitaires ne sont pas nouvelles, mais celle-ci se déroule dans une configuration politique où l’Europe est plus paralysée que divisée. Les gouvernements ne veulent pas d’incident diplomatique, mais ils acceptent que d’autres imposent par la menace ce qu’eux-mêmes n’osent contester.

Dans ce cadre, la flottille met en avant un principe juridique établi. Le droit maritime international prévoit qu’en haute mer, aucune mission pacifique ne peut être interceptée sans justification formelle et dûment documentée. Les menaces ou intimidations sont considérées comme des actes hostiles. Mais le droit, lorsqu’il n’est pas défendu, ne protège plus personne. Les volontaires savent que leur présence est devenue le dernier recours symbolique pour rappeler que Gaza existe encore politiquement dans l’espace international, même lorsque les chancelleries la réduisent à une équation humanitaire ou diplomatiquement risquée.

Ce n’est pas un hasard si le départ s’est fait depuis les côtes espagnoles, ni si des bateaux tunisiens, grecs et italiens ont rejoint le convoi. La Méditerranée relie des peuples qui connaissent les fractures de l’histoire et les angles morts des États. Les sociétés civiles prennent le relais, non par héroïsme romantique, mais parce qu’elles ont compris que l’inaction officielle fabrique une forme de complicité. Israël réagit à cette visibilité parce qu’elle perturbe le récit établi. Ce qui est décrit comme une mesure de sécurité se transforme, à travers ces traversées civiles, en blocus remis en cause publiquement.

Tant que les gouvernements européens continueront à se retirer dès que la mer devient politique, les missions civiles resteront isolées, mais déterminées. La Flottille Sumud ne défie pas des frontières, elle révèle celles que l’Europe ne veut pas voir. Entre intimidation militaire et recul diplomatique, c’est la conscience publique qui dérange, et c’est elle qu’on tente de faire taire à distance.

Partager l'article

Partagez vos idées

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *