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Genève accueille un rapport sur le drame des Marocains expulsés d’Algérie en 1975

02 octobre 2025 - 11:53

Un demi-siècle après l’expulsion massive de milliers de Marocains d’Algérie, un rapport inédit a été présenté, mercredi 1er octobre 2025, au Club de la presse internationale de Genève. L’initiative émane du Rassemblement international de soutien aux familles d’origine marocaine expulsées d’Algérie, en partenariat avec le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger et l’Organisation marocaine des droits de l’homme. Journalistes, juristes et acteurs associatifs étaient présents pour donner visibilité à une tragédie longtemps marginalisée dans les débats officiels.

Le rapport, présenté par Mohamed Cherfaoui et modéré par l’acteur des droits humains Abderrazak Hannouchi, porte un titre évocateur : « Contre l’oubli… pour la reconnaissance du déplacement forcé des familles marocaines expulsées d’Algérie en 1975 ». Il documente les dimensions historiques, juridiques et humaines d’un épisode qualifié de « crime d’État », exécuté en décembre 1975 sous le régime de Houari Boumédiène.

Selon les données vérifiées, à partir du 8 décembre 1975, des dizaines de milliers de Marocains — souvent installés depuis plusieurs générations — ont été arrêtés, séparés de leurs familles, dépouillés de leurs biens puis expulsés vers la frontière marocaine. En 1976, quelque 45 000 personnes étaient enregistrées dans les camps de fortune de Oujda (64 %), Nador (16 %) et Figuig (4 %). Le froid hivernal, l’absence de ressources, la désorganisation administrative et la brutalité des opérations ont aggravé leur vulnérabilité.

Le rapport repose sur des archives inédites de la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à Genève : télégrammes, correspondances diplomatiques, rapports logistiques et missions humanitaires couvrant la période 1975-1977. Ces documents attestent de l’ampleur de la crise et de la mobilisation d’une vingtaine de sociétés nationales, dont celles de Suisse, d’Allemagne, d’Égypte, du Canada, d’Espagne, de Turquie ou encore des Pays-Bas. Des organisations comme Save the Children et Caritas (branche néerlandaise) ont apporté aide et médiation.

Le rapport souligne que les expulsions ont touché des familles entières : enfants arrachés aux écoles, couples séparés, femmes enceintes forcées de traverser la frontière sans soins, personnes âgées abandonnées aux postes frontaliers. Certains expulsés avaient participé quelques années plus tôt à la lutte de libération de l’Algérie, ce qui n’a pas empêché leur bannissement. Les archives montrent aussi que, plusieurs mois après les faits, des centaines de personnes vivaient encore sous des tentes dans des conditions de détresse.

Une deuxième étude juridique, intitulée « Mémoire contre l’oubli », analyse ce déplacement forcé à la lumière du droit international, du droit algérien et des accords bilatéraux entre le Maroc et l’Algérie. Elle conclut à une violation manifeste :

  • du droit interne algérien, qui interdit la dépossession arbitraire et exige un traitement individuel des cas ;

  • des accords d’établissement et de résidence signés en 1963 et 1969 entre les deux pays ;

  • des principes fondamentaux du droit international, en l’absence de toute voie de recours, de réparation ou de procédure contradictoire.

L’étude affirme que la responsabilité internationale de l’État algérien est engagée, notamment pour expulsion collective, privation de propriété et séparation familiale. Elle identifie deux voies de recours possibles pour les victimes :
– des plaintes individuelles auprès du Comité des droits de l’homme de l’ONU,
– des signalements au Conseil des droits de l’homme dans le cadre de la procédure spéciale relative aux violations graves.

Le rapport insiste sur la nécessité d’un travail de mémoire, d’archives et de reconnaissance officielle, s’inscrivant dans les principes du droit à réparation : restitution des biens, droit au retour, reconnaissance symbolique, garanties de non-répétition et transmission aux générations futures. Depuis sa création en 2021, le Rassemblement international a déjà déposé près de 2 000 dossiers individuels aux Archives du Maroc.

L’objectif déclaré est double : arracher cette tragédie à l’oubli et ouvrir la voie à la justice historique. À Genève, les intervenants ont appelé à replacer ce dossier dans l’espace public international, au nom de la vérité, de la dignité et de la mémoire partagée maghrébine.

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