Les mobilisations de ces derniers jours en Espagne, en Italie et dans plusieurs capitales européennes traduisent un basculement politique et symbolique. La cause palestinienne, longtemps fragmentée dans l’opinion publique, s’affirme désormais comme un espace commun de contestation et de solidarité, réunissant syndicats, étudiants, partis politiques et société civile.
À Madrid et à Barcelone, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés pour dénoncer l’assaut israélien contre la flottille humanitaire Global Sumud et, plus largement, la guerre à Gaza. À Barcelone, plus de 15.000 personnes, selon la Guardia Urbana, ont occupé les rues et les places de la capitale catalane, parfois dans un climat tendu avec la police. À Madrid, ils étaient près de 10.000 devant le ministère des Affaires étrangères, brandissant des slogans exigeant un embargo sur les armes, la rupture des relations diplomatiques avec Israël et la création d’un couloir humanitaire. Les images de jeunes, de familles et d’activistes rassemblés à la Puerta del Sol rappellent l’ancrage profond du sujet palestinien dans la conscience citoyenne espagnole.
En parallèle, la jeunesse a donné à la mobilisation une force nouvelle. La grève éducative, organisée par le Syndicat des étudiants, a vidé les classes de collèges, lycées et universités. De Castellón à Valence, en passant par Séville et Pampelune, des milliers d’élèves ont déserté leurs bancs pour occuper les rues. À Barcelone, certains lycéens ont prolongé leur engagement en installant un campement sur une place centrale. Cette dimension étudiante, à la fois massive et spontanée, a redonné à la rue son rôle de laboratoire politique.
Mais l’Espagne n’a pas été seule. En Italie, le syndicat CGIL a appelé à une grève générale, suivi par d’autres centrales, confirmant la capacité du mouvement syndical à transformer l’indignation en action collective. À Rome, plus de 10.000 manifestants ont convergé vers le Palazzo Chigi, siège du gouvernement, tandis qu’à Turin des militants pénétraient sur les pistes de l’aéroport, provoquant des perturbations. Les cortèges se sont multipliés à Milan, Bologne, Florence, Naples et Palerme, parfois accompagnés d’affrontements avec la police. Cette dynamique italienne illustre la puissance de la mobilisation sociale lorsque le syndicalisme et le militantisme étudiant convergent autour d’une cause commune.
Le phénomène a largement dépassé la Méditerranée. De Berlin à Londres, de Bruxelles à Athènes, des rassemblements ont eu lieu en soutien à Gaza et à la flottille interceptée. En France, une trentaine de villes, dont Paris, Marseille, Lyon et Lille, ont connu des manifestations de solidarité. À Istanbul, des centaines de personnes se sont réunies devant le consulat américain pour réclamer l’arrêt des bombardements et la fin de l’isolement de Gaza. Partout, les slogans ont mêlé dénonciation de la politique de Benjamin Netanyahou et appel à une action internationale plus ferme.
L’ampleur de ces mobilisations interroge la diplomatie européenne. Alors que les institutions de l’Union européenne peinent à adopter une position commune sur Gaza, la rue envoie un message de plus en plus audible : l’opinion publique n’accepte plus la passivité ni les doubles standards. L’alignement traditionnel sur Washington est désormais contesté par une génération qui voit dans le soutien inconditionnel à Israël un obstacle à la paix et une complicité tacite avec des violations répétées du droit international.
Ces manifestations marquent aussi un tournant dans la perception de la jeunesse. Les étudiants espagnols et italiens, mais aussi français ou allemands, ne se contentent pas de revendiquer des droits sociaux. Ils inscrivent la cause palestinienne dans une logique globale de justice et de dignité. Leurs slogans associent la lutte contre l’occupation à la défense des droits humains universels, transformant le drame de Gaza en symbole d’une lutte plus large contre l’injustice systémique.
Le message qui se dégage de ce cycle de manifestations est clair à l’échelle européenne, où la cause palestinienne s’impose comme un espace commun de solidarité dépassant les frontières nationales. Elle révèle à la fois la faiblesse des gouvernements, hésitants à agir, et la force de sociétés civiles capables de rappeler que la paix et la justice ne peuvent rester des promesses abstraites. L’Europe, pressée par ses propres citoyens, devra tôt ou tard traduire ce signal de la rue en engagements politiques concrets.