Des membres d’un contingent militaire malgache s’adressent aux médias près de leur campement à Antananarivo, en marge des manifestations massives qui ont eu lieu dans la capitale le samedi 11 octobre 2025.
La présidence malgache accuse une partie de l’armée de chercher à renverser le pouvoir, après que des soldats se sont joints aux manifestations antigouvernementales à Antananarivo. La crise, née du mécontentement populaire contre les pénuries, s’est transformée en bras de fer politique inédit depuis la réélection d’Andry Rajoelina.
La tension est montée d’un cran à Madagascar. Après plus de deux semaines de mobilisation dans la capitale, la présidence a dénoncé ce dimanche une tentative “illégale et forcée de prise de pouvoir”, en réponse à l’apparition de militaires aux côtés des manifestants. Ce n’est plus seulement la rue qui défie l’exécutif : une partie de l’appareil sécuritaire s’en dissocie publiquement, fragilisant l’autorité du chef de l’État.
Tout est parti d’un geste symbolique, mais lourd de conséquences. Samedi, plusieurs groupes de soldats sont descendus dans les rues d’Antananarivo, certains à bord de blindés, refusant de tirer sur la population et appelant à “désobéir” aux ordres jugés contraires à l’intérêt national. La scène, filmée et relayée sur les réseaux sociaux, a brisé un tabou dans un pays marqué par une histoire de transitions forcées et d’interventions militaires dans la vie politique.
Le président Andry Rajoelina, déjà fragilisé par les protestations, a réagi par un communiqué solennel diffusé sur Facebook. Il y condamne “avec la plus grande fermeté” ce qu’il qualifie de tentative de déstabilisation et appelle les “forces vives de la nation” à défendre l’ordre constitutionnel. Le message s’adresse autant aux institutions qu’à l’opinion internationale, dont le soutien est crucial pour un pouvoir contesté sur plusieurs fronts.
La crise actuelle ne s’est pas formée dans le vide. Les manifestations ont commencé fin septembre à l’initiative de jeunes citadins excédés par les coupures d’eau et d’électricité. Rapidement, le mouvement a pris une dimension politique, avec des appels à la démission du président et un rejet de ses propositions de dialogue national. Les protestations rappellent, par leur ton et leur composition, les mobilisations de la jeunesse au Kenya et au Népal : génération connectée, slogans directs et absence de leadership partisan.
Les chiffres officiels illustrent la gravité de la situation. L’ONU fait état d’au moins 22 morts et d’une centaine de blessés depuis le début des tensions. Samedi encore, un manifestant et un militaire ont été tués, selon des sources hospitalières. Les rues d’Antananarivo ressemblent désormais à celles d’un pays qui hésite entre contestation démocratique et basculement insurrectionnel.
Face à la poussée de la rue et aux divisions au sein de l’armée, le président a dissous son gouvernement la semaine dernière et nommé un nouveau Premier ministre, le général Ruphin Fortunat Zafisambo. Celui-ci a exhorté les soldats à la “sagesse” et rappelé que l’armée vient “du peuple” mais doit garantir l’ordre. L’appel vise à empêcher une fracture ouverte entre les forces armées et le pouvoir civil, fracture qui, dans l’histoire politique malgache, a souvent conduit au renversement des institutions.
Ce qui se joue dépasse les revendications initiales. L’image de soldats salués par des manifestants, acclamés comme protecteurs plutôt que répressifs, renvoie à une crise de légitimité profonde. Le rejet du dialogue proposé par Rajoelina montre que la rue ne cherche plus un compromis, mais une issue politique. Le silence relatif de certains acteurs internationaux, habitués à gérer les crises africaines à distance, contraste avec l’ampleur du risque : Madagascar représente un verrou stratégique dans l’océan Indien et un pays où chaque rupture institutionnelle entraîne une décennie d’instabilité.
Ce moment charnière révèle la fragilité d’un régime usé par l’impopularité et la lassitude sociale. La présidence invoque la Constitution, mais une partie de la nation considère que le contrat politique est rompu. Reste à savoir si les forces armées choisiront la neutralité, la loyauté ou la rupture. Dans un pays où chaque crise a laissé des cicatrices durables, l’enjeu n’est pas uniquement de contenir la contestation, mais de prévenir une bascule incontrôlable.