Le pape Léon XIV, la reine Letizia et plusieurs dirigeants latino-américains se réunissent cette semaine au siège de la FAO pour le 16 octobre, Journée mondiale de l’alimentation. Entre célébration institutionnelle et réalités alarmantes, l’organisation veut afficher un multilatéralisme renouvelé face à la faim qui progresse en Afrique et stagne ailleurs.
La FAO marque, cette année, ses huit décennies d’existence. Créée en 1945 pour garantir la sécurité alimentaire mondiale, elle commémore son anniversaire avec un programme dense à Rome : un Forum mondial de l’alimentation du 13 au 17 octobre et une cérémonie officielle jeudi, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation. Le dispositif est imposant : la reine Letizia d’Espagne, ambassadrice de bonne volonté pour la nutrition, le pape Léon XIV – à sa première intervention au sein de l’agence onusienne –, ainsi que plusieurs chefs d’État d’Amérique latine et d’Afrique.
La présence latino-américaine sera particulièrement visible. Luiz Inácio Lula da Silva doit présenter son initiative contre la faim et la pauvreté, lancée lors du G20 en 2024. Le président du Paraguay, Santiago Peña, participera à une table ronde du Forum mondial, tandis que le président chilien Gabriel Boric interviendra au sein du « Forum d’investissement de l’Initiative Main dans la Main ». Le président uruguayen Yamadú Orsi Martínez prendra également la parole lors de la cérémonie officielle, aux côtés du roi Letsie III du Lesotho.
Au Vatican comme à Madrid, cette rencontre est lue comme une tentative de redonner un rôle stratégique à la gouvernance alimentaire mondiale, à l’heure où les crises s’additionnent. Le directeur général de la FAO, Qu Dongyu, veut faire de l’édition 2025 un signal de relance politique, après des années de paralysie multilatérale. L’ouverture d’un musée éducatif permanent, le MuNe, en présence du président italien Sergio Mattarella, s’inscrit dans cette volonté d’affirmer la visibilité de l’organisation.
Mais l’apparat institutionnel ne masque pas les fractures. Selon le dernier rapport SOFI 2025, 673 millions de personnes souffrent encore de sous-alimentation, soit 8,2 % de la population mondiale. L’amélioration est légère par rapport à 2022 et 2023, mais inégale. L’Amérique latine et les Caraïbes enregistrent une baisse notable, avec seulement 5,1 % de la population touchée et 34 millions de personnes concernées. À l’inverse, l’Afrique reste l’épicentre de la crise : plus de 307 millions d’habitants, soit un sur cinq, sont confrontés à la faim. En Asie occidentale, la proportion atteint près de 13 %.
Les projections à cinq ans sont tout sauf rassurantes. En 2030, la FAO estime que 512 millions de personnes souffriront encore de sous-alimentation chronique, dont 60 % sur le continent africain. Ce déséquilibre alimente un malaise croissant au sein des pays du Sud, qui dénoncent les promesses non tenues et l’inefficacité des partenariats présentés comme “inclusifs”.
À Rome, le multilatéralisme alimentaire se donne un décor de prestige, entre le Cirque Maxime et les Thermes de Caracalla. Mais la scène mondiale est loin d’être harmonisée. Les systèmes agroalimentaires restent marqués par les inégalités, la fragilité climatique et la dépendance aux marchés internationaux. Si le langage officiel évoque la « coopération », la « souveraineté » et la « paix durable », la réalité politique pèse plus que les slogans.
L’intervention du pape, la présence de chefs d’État du Sud global et l’activisme diplomatique de leaders comme Lula montrent que la faim n’est plus traitée comme un simple enjeu humanitaire. Elle est devenue un champ de pouvoir, de dette morale et de rivalités géostratégiques. À l’heure où les institutions internationales cherchent à restaurer leur crédibilité, la FAO joue son rôle le plus difficile : concilier commémoration, diplomatie et urgence sociale.