Le Parti populaire (PP) espagnol vient de présenter son plan migratoire, dont la proposition centrale est de privilégier l’« immigration culturellement proche ». Pour les Marocains, le message d’Alberto Núñez Feijóo, le leader conservateur, est cristallin : vous n’êtes pas les bienvenus. Les conservateurs, qui aspirent à revenir au gouvernement, traînent sous les mandats de José María Aznar et Mariano Rajoy des décennies de politiques hostiles envers ceux qui arrivent du sud de la Méditerranée. Ses gouvernements conservateurs ont construit leur agenda sur la base de la contention migratoire et la sécurisation du Détroit. Ce que Feijóo vient de formaliser est une pensée qui a toujours considéré les Marocains comme des citoyens de seconde zone. Cette dérive discriminatoire n’est pas isolée et révèle un schéma idéologique qui divise l’humanité entre vies qui importent et vies jetables selon des critères raciaux et culturels, se manifestant également dans sa position face aux conflits internationaux.
Le 16 septembre dernier, la Commission internationale indépendante d’enquête des Nations Unies a présenté un rapport concluant qu’Israël a commis un génocide à Gaza. Dirigé par Navi Pillay, qui a présidé le Tribunal pénal international ayant établi le génocide rwandais, le texte est sans appel et documente quatre des cinq actes génocidaires définis dans la Convention de 1948. Pourtant, le PP refuse de le reconnaître et conditionne l’usage du terme à ce que dicte la Cour pénale internationale (CPI). Une position surprenante si l’on considère que cette même formation n’a eu aucun scrupule à qualifier de « génocide » l’invasion russe de l’Ukraine à partir de février 2022 sans attendre de verdict judiciaire. Nous ne sommes pas face à des contradictions politiques, mais devant l’expression cohérente d’une pensée qui ordonne hiérarchiquement l’humanité selon des critères ethniques et culturels.
L’historien Ben Kiernan, fondateur du Programme d’études sur le génocide de Yale et coéditeur de The Cambridge World History of Genocide, définit ce genre de crime comme l’action intentionnelle, de la part d’un État ou d’une organisation, destinée à détruire totalement ou partiellement une collectivité humaine identifiée par son ethnie, sa religion ou sa nationalité. Cette destruction peut se manifester par la mort physique directe, la création de conditions de vie insoutenables, le transfert forcé ou des mesures visant à éliminer cette population en tant que telle. Le rapport Pillay documente précisément cela à Gaza, avec des assassinats massifs, l’infliction de lésions graves, la soumission à des conditions calculées pour détruire physiquement le peuple palestinien et l’imposition de mesures pour empêcher les naissances. L’Association internationale des spécialistes du génocide, le plus grand organisme académique mondial, appuie cette conclusion avec le soutien de 86 % de ses cinq cents membres.
Le PP refuse de qualifier de génocide ce qui se passe à Gaza et subordonne sa reconnaissance à ce que décidera la CPI. Une position soi-disant prudente, juridiquement responsable. Le paradoxe réside dans le fait que cette supposée sagesse disparaît lorsqu’il s’agit d’autres conflits. Les dirigeants conservateurs, dont Feijóo lui-même et Díaz Ayuso, n’ont pas hésité à qualifier de « génocide » l’invasion russe de l’Ukraine dès les premiers mois, sans attendre aucun prononcé judiciaire international. Il n’y a eu ni conditions, ni attentes, ni appels à la prudence juridique. Pourquoi ce deux poids, deux mesures ? La réponse est idéologique. Le pays de Zelenski est européen, de tradition chrétienne, « culturellement proche ». Gaza est palestinienne, arabe, musulmane, c’est-à-dire, l’ « autre » lointain et jetable. Cette géométrie variable démasque une échelle des races où certaines victimes comptent plus que d’autres sur la base de critères identitaires.
Le lien entre le refus de reconnaître le génocide à Gaza et la proposition migratoire de Feijóo n’est pas mineur. Lorsque le leader du PP parle de privilégier l’ « immigration culturellement proche », il ne fait pas une proposition technique sur la gestion des flux migratoires, mais établit un critère de sélection fondé sur la proximité culturelle, ethnique et religieuse. Il normalise ainsi l’idée qu’il existe des immigrants désirables et indésirables selon leur provenance. Exactement la même logique qui opère dans son double standard sur les génocides : il y a des victimes qui méritent la solidarité et d’autres non, en fonction de leur ressemblance avec « nous espagnols ». Human Rights Watch, dans son Rapport mondial 2025, avertit que les politiques migratoires de l’Union européenne se concentrent de plus en plus sur la dissuasion, affaiblissant les droits et provoquant une augmentation des morts en mer, des expulsions illégales et des renvois vers des pays où ils font face à de graves abus. Le plan de Feijóo s’inscrit parfaitement dans cette dérive.
Il n’est pas nécessaire d’utiliser un langage explicitement ségrégationniste pour perpétuer l’exclusion raciale. Les formes les plus dangereuses de discrimination contemporaine sont celles qui se déguisent en bon sens, en pragmatisme et en réalisme politique. Le concept d’ « immigration culturellement proche » fonctionne comme un euphémisme civilisé pour sanctionner la ségrégation ethnique. C’est du racisme déguisé, qui se présente comme une politique responsable mais qui reste, en fin de comptes, du racisme. Le Plan d’action de l’UE 2020-2025 contre ce fléau reconnaît que ces comportements peuvent être ancrés dans les institutions sociales, financières et politiques, affectant tous les niveaux de pouvoir et l’élaboration des politiques. Lorsqu’un parti qui aspire au gouvernement comme le PP propose des critères de sélection migratoire fondés sur la proximité culturelle, contribue à légitimer précisément cette discrimination structurelle que les institutions européennes prétendent combattre.
J’ai couvert sur le terrain des zones de conflit et de crises humanitaires pendant des décennies. J’ai vu des corps d’enfants sur les plages de la Méditerranée, des familles syriennes bloquées aux frontières européennes après la guerre tandis que des couloirs humanitaires s’ouvraient pour les Ukrainiens, des réfugiés sahéliens fuyant la violence djihadiste sans trouver refuge, des morts devant les clôtures de Melilla… Ces critères sélectifs ont des noms, des visages, des histoires de souffrance et d’espoirs brisés. Ce ne sont pas des abstractions, mais des vies considérées comme jetables parce qu’elles ne correspondent pas au « culturellement proche ». Lorsqu’un parti décide quelles victimes de génocide méritent d’être reconnues et quels immigrants sont dignes d’être accueillis en vertu de leur origine, nous ne sommes pas face à des erreurs de calcul ni à de légitimes nuances idéologiques. Une structure de pensée qui ordonne les vies, droits et dignités selon leur ressemblance avec « nous » sape les fondements mêmes d’une démocratie dont le PP prétend être le champion, tout en reléguant plus d’un million de Marocains établis en Espagne à la catégorie du culturellement jetable.