Les partis politiques marocains face au gouffre de la crédibilité

18 septembre 2025 - 10:03

Le dernier rapport du Centre Marocain pour la Citoyenneté, publié en septembre 2025, dresse un constat sévère : les partis politiques, censés incarner l’un des piliers de la démocratie représentative, apparaissent aujourd’hui comme les institutions les plus fragilisées du pays. L’ampleur de la défiance n’est pas seulement chiffrée, elle se lit dans un climat général de distance, de lassitude et parfois même de désaffection ouverte.

Lorsque 91,5 % des Marocains interrogés estiment que l’action des partis reste faible, et que moins de 1 % d’entre eux leur accordent une évaluation positive, il ne s’agit plus d’un simple avertissement conjoncturel. C’est l’expression d’une fracture politique durable, qui place les formations partisanes derrière toutes les autres institutions en termes de crédibilité. Le Parlement, le gouvernement, l’opposition et même les syndicats ou les collectivités territoriales apparaissent eux aussi fragilisés, mais les partis se distinguent par leur incapacité à susciter la moindre adhésion, alors qu’ils sont censés être le canal principal de la représentation citoyenne.

L’étude va plus loin en interrogeant les ressorts internes de la vie partisane. Elle révèle que, dans l’imaginaire collectif, la progression à l’intérieur des appareils ne dépend guère du mérite ou de la compétence, mais de logiques bien moins honorables. Pour près des deux tiers des répondants, c’est l’argent qui ouvre les portes et détermine la hiérarchie; pour plus de 60 %, ce sont la loyauté ou la flatterie; pour près de la moitié, les réseaux clientélistes. À peine un tiers continue d’associer l’ascension au sein d’un parti à la capacité de gérer, de penser et de proposer. En d’autres termes, les partis donnent l’impression de s’être détachés de leur raison d’être – proposer des programmes, incarner des idées, former des élites – pour devenir des machines de reproduction fermées, guidées par l’accès aux ressources et la gestion des loyautés.

Cette perception négative trouve son prolongement dans les chiffres de l’adhésion. Plus de neuf citoyens sur dix affirment ne pas être membres d’un parti, et une majorité écrasante n’envisage même pas de le devenir. Ce refus d’engagement traduit non seulement une méfiance, mais aussi une conviction : les partis n’apportent plus de réponses crédibles aux aspirations sociales. La jeunesse, qui représente une force démographique essentielle, se détourne particulièrement des structures partisanes pour se tourner vers d’autres modes d’expression – mobilisations sur les réseaux sociaux, engagement dans des associations locales ou initiatives civiques ponctuelles. Les formations politiques, qui devraient être des espaces d’innovation et de renouvellement, se retrouvent incapables d’investir ces terrains avec un minimum de légitimité.

Le rapport propose des pistes de réforme qui visent à rompre ce cercle vicieux. Limiter le nombre de mandats pour éviter la confiscation des appareils, réformer le système d’investitures pour briser l’arbitraire des états-majors, renforcer la transparence financière, instaurer une reddition de comptes effective : autant de mesures destinées à redonner souffle et crédibilité. Mais il faut reconnaître que ces propositions, si nécessaires soient-elles, ne suffiront pas à elles seules à recréer le lien perdu. Car ce qui est en jeu dépasse l’ingénierie institutionnelle : il s’agit d’une crise de confiance, enracinée dans des décennies d’écart entre promesses et réalisations, entre discours et pratiques.

Dans ce contexte, il n’est pas anodin que le rapport rappelle le discours royal du 30 juillet 2025, où le Souverain a insisté sur la nécessité de “réencadrer la phase politique à venir”. Cet appel peut se comprendre comme une invitation à repenser le rôle des partis dans la vie nationale, à les forcer à sortir d’une logique de simple survie pour renouer avec leur mission originelle de médiation. La parole royale confère à cette question une dimension stratégique : elle ne relève pas seulement du fonctionnement interne des partis, mais du pacte de confiance entre l’État et la société.

Si la défiance se prolonge, les risques sont connus. Le citoyen, convaincu que les partis n’ont plus rien à offrir, cherchera ailleurs les canaux d’expression de ses frustrations et de ses aspirations. Cela peut passer par des mobilisations sociales spontanées, par la montée de voix contestataires hors du champ institutionnel, ou par une abstention massive qui viderait le jeu démocratique de sa substance. Dans tous les cas, c’est la stabilité du système politique qui en sortirait fragilisée, car une démocratie représentative sans partis crédibles devient une démocratie en trompe-l’œil.

La question est donc posée, et elle ne souffre plus de retard : les partis marocains sont-ils encore capables de se réinventer comme médiateurs indispensables entre l’État et la société, ou bien sont-ils condamnés à se marginaliser jusqu’à perdre toute pertinence ? Pour l’instant, la réponse penche du côté du pessimisme, si l’on s’en tient à la perception citoyenne. Mais la politique n’est pas qu’un reflet des sondages; elle peut être aussi le théâtre de réformes, de sursauts, de revirements. Reste à savoir si les élites partisanes prendront la mesure de cette urgence historique.

Partager l'article

Partagez vos idées

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *