Zineb s’évade de prison pour sauver sa fille Inès de la garde de l’État. Mais les choses se compliquent rapidement lorsqu’elle prend en otage la conductrice d’un camion, Asma. La police aux trousses, les trois femmes se lancent dans une cavale dangereuse à travers l’Atlas … C’est le résumé d’un film bien marocain nommé « Reines » qui sort ce mercredi en salles au Maroc. Entretien avec la scénariste et réalisatrice marocaine Yasmine Benkiran, auteure pour la télévision et pour le cinéma, son premier long-métrage, « Reines », une cavale féministe en camion est présenté à la Mostra de Venise en clôture de la semaine internationale de la critique.
- Comment est venue l’idée de Reines ?
Au tout début de l’écriture il y avait l’image prégnante de femmes au volant d’un camion – un désir de proposer d’autres représentations de femmes marocaines – et la volonté de réaliser un film en darija qui prenne ses distances avec le réel. J’ai grandi à Rabat avec l’impression d’avoir eu comme choix d’une part des films où les étrangers vivaient des aventures extraordinaires et d’autre part des drame sociaux où les Arabes avaient des problèmes. Comme si parce que nous étions marocaines, nous n’avions pas le droit au romanesque, à la science-fiction, à l’aventure, au fantastique : à la fiction avec un grand. Faire Reines, c’était réaliser le film qui m’avait manqué.
« J’ai écrit « Reines » avec la volonté de mettre au centre le plaisir de spectateur. Quand je dis plaisir, ça n’est pas forcément agréable, ça peut être douloureux »
- Comment définiriez-vous le genre du film ?
J’aime être surprise au cinéma et je n’aime pas l’idée de se cantonner à une émotion comme je n’aime pas l’idée de se cantonner à un genre. « Reines » est protéiforme. Il commence comme un film ludique puis bifurque vers le drame en passant par l’action et le fantastique. S’il fallait le définir, je dirais que c’est un conte d’aventure. Ce qui est sûr, c’est que le genre m’intéresse particulièrement car comme les contes ou les mythes et légendes, il permet, en s’éloignant du réel, de manier les symboles et de proposer de nouveaux motifs, de nouvelles représentations. Je crois que le cinéma ainsi que toutes les formes de récit participent à fabriquer un imaginaire collectif qui forge la société. Pour citer la philosophe Teresa de Lauretes « Représenter le genre, c’est le construire ». Je suis convaincue que nous devons aujourd’hui proposer de nouveaux récits pour façonner un imaginaire plus inclusif.
- Pour ce premier film, qui plus est un road movie, quel a été le plus grand défi ?
Nous avons tourné avec vieux un camion Berliet de près de 15 tonnes sur des décors situés parfois à sept heures de route les uns des autres : entre Casablanca, la montagne, le désert et l’océan. Un tournage majoritairement en extérieur avec une météo capricieuse : dans le sud la brume était parfois si épaisse qu’on ne voyait rien à un mètre. Et nous n’avions que 5 semaines de tournage. Disons que pour un premier film… la tâche n’était pas simple.
- Le camion est presque un personnage du film. Comment l’avez-vous choisi ?
Enfant, j’ai beaucoup voyagé au Maroc, notamment avec ma mère, et j’ai passé du temps sur la route avec ces camions qui m’ont tour à tour effrayée et fascinée. Choisir le camion a donc été un moment passionnant. La créativité des chauffeurs qui décorent leur véhicule est inouïe. C’est drôle, kitch et joyeux. Chaque camion ressemble à son chauffeur : c’est un peu leur seconde maison. Mon choix s’est vite arrêté sur le Berliet grande masse qui semble surgir d’une autre époque et qui est en train de disparaître. Dans le film, il y a trois véhicules : un camion Berliet, une Mercedes 240 et une R12. Trois véhicules iconiques des routes marocaines et qui sont en train de disparaître. Ça m’amusait de jouer avec cette imagerie vintage et pop qu’on retrouve aussi dans d’autres motifs du film : les paraboles, les chewing-gums, le cahier magique d’Inès (cahier « le jaguar » qu’on avait tous dans les années 90). L’idée était de partir d’éléments populaires de la culture marocaine pour créer une iconographie ludique qui soit propre au film.
- Qu’est-ce qui lie Zineb, Inès et Asma le trio principal ?
Zineb est un personnage complexe. Elle est insolente, violente et terriblement attachante. Elle est sa pire ennemie. Zineb et Asma n’ont rien en commun. Mais l’énergie subversive de Zineb est contagieuse et à son contact, Asma va se libérer de ses carcans. Mais c’est surtout le sort d’Inès, qui va rapprocher les deux femmes. Je vois le trio comme une famille inespérée. Comme un salut auquel personne ne s’attendait. J’aime l’idée qu’on puisse se réinventer une famille. Au début du film, seule de son côté, chacune est bancale. Ensemble, loin de tout, dans les montagnes, elles trouvent ensemble une harmonie.
- Quelles sont les valeurs qui vous ont accompagné pendant l’écriture ?
La liberté, la puissance de l’imaginaire et la désobéissance. Pour moi, il n’y a pas d’apprentissage sans désobéissance. Il faut toujours questionner la conformité morale. Cultiver un esprit critique et une pensée autonome. Dans certaines réalités, désobéir devient un devoir. « Reines » est un film où chaque personnage reprend le contrôle de son destin et redevient sujet. Le film interroge différentes figures féminines d’une époque non révolue : rester sagement obéissante dans une effigie de vierge pure ou bien s’émanciper en connaissant une certaine forme d’opprobre ? C’est le choix que va devoir faire Asma. Un choix qui se fait dans l’urgence et qui la fait basculer de l’autre côté. Cette émancipation a un prix : elle fait d’Asma une hors-la-loi.
- Votre film a fait sa première en clôture de la semaine de la critique à la MOSTRA DE VENISE le 9 septembre 2022 et a reçu un très bel accueil au festival de Marrakech en novembre. Que représente pour vous la sortie du film au Maroc prévue pour mai 2023 ?
La Mostra internationale du cinéma de Venise est le plus vieux festival de cinéma du Monde. Y montrer mon premier film était un moment aussi excitant que stressant. Le film a été très bien accueilli. C’était très émouvant. Depuis septembre, « Reines » n’arrête pas de tourner en festivals dans le monde. Plus d’une vingtaine de festivals : Venise, Marrakech, puis… de la Turquie à la Suède en passant par l’Allemagne ou l’Inde où il a fait 3 festivals. Je reçois des messages enthousiastes de spectateurs indiens, c’est très touchant. La sortie marocaine, ce sera la rencontre du film avec son public premier, le public pour lequel le film a d’abord été pensé. J’ai hâte.