Zoubida Moumjid: "Partout où la femme a participé aux négociations, non seulement la paix a duré plus longtemps, elle a été encore plus résiliente

02 novembre 2022 - 14:28

Zoubida Moumjid présidente de l’Association « Femmes pour la Paix et la Médiation présidente de l’Association Femmes pour la Paix et la Médiation, revient dans une interview exclusive avec Alyaoum24 sur l’importance de l’application de la résolution du conseil de sécurité de l’ONU 1325 qui vise a accordé une place plus importante aux femmes au niveau de la médiation et de la résolution des conflits, insistant sur le fait que cela permettra d’assurer la paix de façon durable, rappelant également que l’application de cette résolution ne concerne pas seulement les pays en risque de guerre, mais elle défend aussi plusieurs droits fondamentaux de la femme.

-Al Yaoum24 : Le Monde célèbre le 22ème anniversaire de la Résolution 1325 qui a inauguré l’Agenda du conseil de sécurité de l’ONU sur les Femmes. Parlez nous de cette initiative ?

Zoubida Moumjid:  Le 31 Octobre, le monde célèbre le 22ème anniversaire de la Résolution 1325 qui a inauguré l’Agenda du conseil de sécurité de l’ONU sur les Femmes, la Paix et la sécurité, qui est la première résolution reconnaissant l’impact disproportionné et dramatique des conflits armés sur les femmes, elle établit avec pertinence le lien entre elles, la paix et la sécurité. Adoptée par le conseil de sécurité des Nations Unis le 31 Octobre 2000, pour traiter exclusivement et pour la première fois de l’impact de ces conflits armés sur les femmes, elle insiste sur le rôle qu’elles peuvent jouer dans la prévention et la résolution des conflits ainsi que dans le maintien de la paix, de la sécurité et de la cohésion sociale. Longtemps attendue et largement saluée par toutes les ONG militant pour l’instauration et la défense des droits des femmes, elle souligne également  l’importance de la prise en compte de l’approche genre dans tous les pourparlers pour la paix, au même pied d’égalité que les hommes, en luttant contre toute discrimination, dans les régions où sévissent des conflits armés, qu’ils soient intra ou inter étatiques, et partout ailleurs dans le monde, même au-delà des conflits armés. Elle constate l’exclusion et les apports dévalorisés et sous-utilisés des femmes à la prévention, à la gestion des conflits ainsi qu’au maintien de la stabilité et de la cohésion sociale, et elle souligne de ce fait l’importance de leur participation égale et entière en tant qu’agents actifs dans le domaine de la paix et de la sécurité.
Dans son prolongement, plusieurs autres sont résolutions  venues la renforcer afin de proposer un cadre référentiel de mise en œuvre et de suivi du programme de l’ONU sur la question, à travers un dispositif institutionnel rigoureux.
Ainsi, 10 résolutions ont été adoptées  entre 2008 et 2019, toutes reconnaissant les droits des femmes comme condition fondamentale pour le maintien de la paix et de la cohésion sociale dans le monde.
 Quel impact peut avoir l’inclusion des femmes dans la gestion des processeurs de médiation des conflits? 
Les expériences du terrain ont montré que partout où la femme a participé aux négociations, non seulement la paix a plus duré, en général quatorze fois plus longtemps, mais elle a été encore plus résiliente. Ensuite, qui peut comprendre la femme mieux qu’une femme ? Lorsque la médiation et les négociations sont menées par des hommes, les femmes ont du mal à se livrer, à raconter leurs sévices, qui sont surtout sexuels en période de conflits, car leurs corps deviennent des armes de guerre redoutables. Alors elles se taisent, par honte et par pudeur, ce qui donne lieu à l’impunité des bourreaux. Si par contre la médiation est faite par des femmes, surtout si elles partagent le même référentiel, les victimes se sentent mieux comprises. Malheureusement, on est loin de la parité dans ce domaine, et c’est ce pourquoi nous militons afin d’ avoir plus de femmes dans les tables de négociation.

Aujourd’hui, les chiffres sont très alarmants : 13% seulement de femmes négociatrices, 6% de médiatrices, 6% de signataires, alors que les victimes des guerres sont à 75% des femmes.
Les femmes sont l’avenir de l’Homme, et sans elles, sans leur implication active, aucune paix durable ne pourra avoir lieu. C’est par elles que le monde assurera sa stabilité, sa croissance et sa durabilité.
Le Maroc n’est pas un pays en guerre, pourquoi mettre en œuvre cette résolution par un plan d’action national ?
On a tort d’associer l’implémentation de PAN à des états en conflit. Au-delà des conflits, la Rés.1325 prône la paix et sécurité pour la femme où qu’elle soit, et cherche à ancrer ses droits et à lutter contre toute discrimination à son égard. Elle est transversale et multidisciplinaire et c’est à partir de sa transversalité que le Maroc a élaboré son Plan d’Action National qu’il a bâti sur trois piliers : la diplomatie préventive, la lutte contre la radicalisation et le terrorisme, et l’autonomisation économique de la femme. La sécurité n’est pas qu’en période de conflit, mais c’est la sécurité dans une rue où elle n’est pas harcelée parce qu’elle est femme, le droit à
l’éducation, à la santé, à un logement convenable, à l’accès à des postes de décision, à la parité et à l’égalité en somme.

En tant que Présidente de l’Association « Femmes pour la Paix et la Médiation », pouvez-vous décrire une action forte que vous menez actuellement ?
Plaider pour que nous autres, femmes arabo-africaines, ayons notre place dans les tables de négociations dans des régions avec lesquelles nous partageons un même référentiel. Selon le dernier indice de la paix dans le monde, sur 163 pays, seuls 15 sont très
pacifiques, 52 pacifiques, les autres sont soit moyennement pacifiques, soit instables, soit hautement instables. Les pays se trouvant dans la dernière catégorie relèvent pour la plupart de notre région arabo-africaine, ce qui revient à dire que ce sont nos sœurs qui subissent le plus de méfaits des guerres. Le nombre de conflits augmente, avec de nouvelles formes de terrorisme, de radicalisme, de cybercriminalité, entrainant plus de 100 Millions de déplacés et de réfugiés, dont beaucoup sont des femmes exposées au viol, à la prostitution, à la traite des blanches, au trafic, à l’exploitation, à l’esclavage, à l’enrôlement forcé…

Dans nos réseaux de femmes partisanes de la paix et nos associations, nous avons toutes les compétences requises pour le faire, nous avons le savoir, le savoir-faire, l’expérience qu’il faut, la société civile, et nous avons surtout notre sens de l’équité et de la justice.

Quelles sont les difficultés rencontrées pour concrétiser ce projet ?

Il existe une fausse croyance que les pays qui ne sont pas en conflit ne seraient pas concernés par la Résolution 1325, et qu’ils n’auraient pas à élaborer un plan d’action national, ce qui est faux, car la sécurité des femmes est aussi alimentaire,
environnementale, sanitaire, éducative…

Mais, souvent, les états ne s’impliquent pas trop dans la mise en œuvre à cause du financement. Sur 190 pays ayant ratifié la résolution, seuls 103 l’ont mise en œuvre et l’ont implémentée .Cependant, bien souvent, les pays ayant adopté des PAN, ne les mettent pas en œuvre correctement. Le dernier grand problème reste celui du financement. Les bailleurs de fond et l’ONU
se doivent d’accompagner par un appui technique, politique et financier régulier, permanent et durable.

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours professionnel, vos choix ?
Après un long parcours dans l’enseignement de la littérature et de la langue française, une grande conversion s’est opérée dans ma vie suite à une formation en psychologie du travail et des organisations, m’ayant conduit vers les domaines de la communication, du développement personnel et professionnel, des Soft-Skills, et de la psychothérapie, vers l’humain en somme.
Diplômée d’un master 2 en communication politique, ayant enseigné la psychosociologie du comportement politique, j’ai focalisé mon travail sur la recherche scientifique et sur l’accompagnement des politiques- individu et partis par la formation, la consultance, le conseil et le coaching. Active dans l’associatif à travers la présidence effective de l’organisation « Femmes pour la Paix et la Médiation », la vice-présidence de l’association « Fès, Ame d’Afrique », je m’intéresse, entre autres, à l’autonomisation des femmes et des filles ainsi qu’à la lutte contre toutes les formes de violence basées sur le genre, notamment par plaidoyers et formation, pour le renforcement des capacités des femmes en politique et en gestion des affaires publiques afin de les doter des compétences nécessaires au leadership et à la bonne gouvernance. Dans mon association, et depuis le temps que je travaille sur la Résolution 1325 et ses connexes, pour plus de femmes arabo-africaines autour des tables de négociations, on m’appelle Madame 1325. Enfin, participer au développement durable de mon pays, en mettant mes savoirs polyvalents, mes savoir-faire ainsi que mon expérience à la disposition de mes concitoyens, société civile et politique confondus, reste mon souci majeur.

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