L’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM) a célébré le 40ᵉ anniversaire de sa fondation lors d’une cérémonie conviviale qui s’est tenue au Musée de l’Union Marocaine du Travail (Maison de l’Union dans l’ancienne médina de Casablanca), le samedi 14 juin 2025. J’ai eu le privilège d’y apporter mon témoignage, en tant qu’observateur et acteur ayant accompagné, tout au long de ces quatre décennies, les activités de cette institution de référence, en y contribuant sous diverses casquettes : journaliste, bénéficiaire, formateur, soutien et « conseiller ». L’ADFM a été pour moi une véritable école qui a largement façonné ma conscience politique et favorisé mon engagement précoce au sein des dynamiques multiples du mouvement féministe marocain.
Fondée le 1ᵉʳ juin 1985, à l’instar de nombreuses autres associations féminines marocaines, l’ADFM est née dans le contexte des luttes féministes en faveur de l’égalité et contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Ces luttes ont révélé les limites des structures féminines partisanes (ou des « secteurs féminins»), incapables de répondre aux aspirations des militantes à l’émancipation, à l’autonomie décisionnelle et à la reconnaissance de la légitimité des revendications portées par le mouvement féministe. C’est dans ce cadre que l’ADFM a su, avec détermination, affirmer son indépendance et gagner l’estime et le respect de ses partenaires et soutiens. L’expérience de l’ADFM, au cours de ces quarante années, s’est distinguée par une multitude de réalisations et d’initiatives novatrices, toutes caractérisées par une vision stratégique constante, plaçant l’égalité des sexes et l’équité des chances au cœur de son action. Ses interventions ont couvert de nombreux domaines : autonomisation politique, économique et financière, l’éducation à l’égalité et à la citoyenneté, réformes législatives — incluant notamment le Code de la famille — et bien d’autres initiatives significatives.
L’approche méthodologique de l’ADFM a su conjuguer réflexion théorique et action pratique, contribuant à l’émergence d’un modèle marocain de plaidoyer civique en matière de législation et de politiques publiques. Elle s’est ainsi attachée à influencer les sphères de décision publique en s’appuyant sur des recherches scientifiques, des expériences de terrain, une dynamique militante bénévole, ainsi qu’une force de proposition réaliste et pragmatique. L’ADFM a également investi dans le développement du capital humain, le renforcement des compétences et l’adaptation continue de ses approches aux réalités du terrain et aux évolutions contextuelles. Dès ses débuts, elle a porté une attention particulière à la pérennité de son action en misant sur la relève, à travers la transmission des savoirs et savoir-faire entre générations, et en assurant une transition fluide dans l’exercice des responsabilités. La commémoration du 40ᵉ anniversaire de l’ADFM constitue également une occasion pour mettre en lumière sa capacité à fédérer et à exercer un leadership reconnu, à travers la création et la consolidation de nombreuses coalitions, alliances et réseaux tant au niveau national, maghrébin, régional qu’international. L’engagement de l’association ne s’est pas limité aux seules revendications du mouvement féministe, mais s’est également étendu aux grandes causes associatives, aux droits humains et à la démocratie.
L’expérience de l’ADFM (tout comme celle d’autres associations féminines militantes) vient contredire les discours réducteurs selon lesquels l’action du mouvement féministe ne serait qu’un luxe intellectuel, élitiste, déconnecté des réalités profondes du Maroc et réservé à une bourgeoisie urbaine. Malheureusement, de telles représentations sont parfois reprises même par des courants se réclamant du progressisme et de la modernité. Or, l’expérience de terrain de l’ADFM démontre clairement l’existence d’un travail effectif et concret au bénéfice des femmes dans toutes les régions du Maroc : urbaines, semi-urbaines et rurales. À cet égard, l’action déterminante de l’association en matière de défense des droits des femmes soulaliyates est exemplaire. Son engagement dans ce dossier complexe a contribué de manière décisive aux plaidoyers qui ont abouti à des réformes législatives majeures, mettant fin à des décennies d’exclusion de ces femmes. Par ailleurs, l’ADFM et d’autres associations féminines poursuivent un travail fondamental dans le domaine de l’alphabétisation en général et de l’alphabétisation juridique en particulier, avec un impact considérable.
Mon lien avec l’ADFM demeure également empreint de relations personnelles et d’amitiés profondes avec la génération de ses fondatrices : Amina Lamrini, Rabia Naciri, Leila Rahioui, Nezha Sqalli, Rachida Tahiri, Khadija Rebbah…, ainsi qu’avec celles et ceux qui ont assuré sa direction au fil des années.
Enfin, l’expérience du mouvement féministe en général et des associations féminines en particulier mérite aujourd’hui un réel investissement académique pluridisciplinaire, afin de documenter ses différentes étapes et de rendre hommage à ses luttes. La commémoration du 40ᵉ anniversaire de l’ADFM pourrait constituer, à cet égard, un véritable point de départ pour initier et approfondir ce chantier de recherche indispensable.